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sophie kovalewsky.

papier, sur laquelle ma faute est inscrite en gros caractères, et je parais à table avec cet ornement. Cette punition m’est odieuse : aussi la menace de mon institutrice a-t-elle le don de dissiper instantanément mon sommeil. Je saute du lit. Ma femme de chambre m’attend près de la toilette : d’une main elle soulève une cruche, de l’autre elle tient une serviette éponge. On m’arrose d’eau froide à la mode anglaise. Pendant une seconde le froid me saisit vivement : puis c’est de l’eau bouillante qui coule dans mes veines, et tout mon corps éprouve ensuite une impression de souplesse et d’extrême vigueur.

Il fait tout à fait jour maintenant. Nous montons dans la salle à manger. Le samovar bout sur la table ; le bois craque dans le poêle, jetant sur les grandes fenêtres, couvertes de givre, une flamme vive qui s’y reflète et les illumine. Plus trace de sommeil ! je me sens au contraire toute disposée à une joie sans cause ! je voudrais rire, courir, m’amuser ! — Ah ! si j’avais un compagnon de mon âge avec qui lutter, jouer, dépenser un peu de cette exubérance de vie et de santé qui bouillonne en moi comme une source ! Mais je n’ai pas de compagnon ; je bois mon thé avec l’institutrice, car les autres membres de ma famille, sans en excepter mon frère et ma sœur, se lèvent beaucoup plus tard. Mon envie de rire et de m’amuser est si irrésistible, que je fais une faible tentative pour plaisanter avec mon institutrice. Malheureusement elle n’est pas de bonne humeur aujourd’hui, ce qui lui arrive fréquemment le matin, à cause d’une maladie