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sophie kovalewsky.

On apprit alors qu’elle était sujette à des crises nerveuses, presque à des crises d’épilepsie, dissimulées avec soin aux maîtres : elle craignait de n’être pas gardée si l’on venait à les découvrir. Ceux, parmi les domestiques, qui connaissaient son mal, ne l’avaient pas trahie, par un sentiment de solidarité.

Ce qui me frappa le plus fut la transformation subite qui s’opéra dans l’esprit des domestiques. Jusque-là Marie Vassiliévna avait été considérée avec haine et envie, et sa mauvaise action était si noire, que chacun éprouvait un certain plaisir à lui faire quelque affront. Tout cela disparut subitement. On ne vit plus en elle qu’une malheureuse victime, et la sympathie générale lui fut acquise. Une sourde protestation s’éleva dans la maison, contre mon père et l’excessive sévérité de sa sentence.

« Bien sûr, elle était coupable, disaient à demi-voix les servantes réunies en conseil chez Niania — ainsi que cela se passait après chaque incident survenu dans la maison. — Eh bien, le Barine pouvait la gronder lui-même, ou la Barina la punir de ses propres mains, comme on le fait dans d’autres maisons ; cela peut s’accepter ; mais qu’a-t-on inventé ?… Baiser la main de cette morveuse ! qui pourrait supporter une pareille insulte ? »

Marie Vassiliévna resta longtemps privée de connaissance : une crise succédait à l’autre, il fallut faire venir le médecin.

La sympathie pour la malade croissait de minute en minute, aussi bien que l’indignation contre les