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fékloucha.

monde dans la maison s’étant retiré, et Niania après nous avoir couchés se préparant aussi au repos, voilà la poêle de notre chambre qui s’entr’ouvre doucement, et sur le seuil paraît la blanchisseuse Alexandra, la mère de Fékloucha. Elle seule se refusait à l’évidence, et s’obstinait à prétendre qu’on avait gratuitement insulté sa fille. Il en était résulté de vives escarmouches avec Niania, qui, à bout de patience, avait fini par lui interdire l’entrée de notre chambre, déclarant « qu’on ne pouvait faire entendre raison à cette sotte ».

Cependant elle avait ce jour-là un air si étrange et si important, que Niania, en la voyant, comprit aussitôt qu’elle ne venait pas répéter ses doléances oiseuses, mais qu’il s’agissait d’un fait nouveau et sérieux.

« Regardez, Niania, ce que je vous apporte », dit Alexandra mystérieusement. Et après s’être assurée que personne ne pouvait la voir, elle tira de la poche de son tablier et tendit à la bonne, le canif de nacre, celui que nous regrettions, et qui devait se trouver parmi les objets volés, et censément jetés dans l’étang par Fékloucha.

À cette vue Niania leva les bras au ciel !

« Où l’avez-vous trouvé ? demanda-t-elle avec surprise.

— Où je l’ai trouvé ? c’est précisément là l’affaire », répondit lentement Alexandra.

Elle s’arrêta quelques secondes, pour jouir du trouble de Niania.