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activité littéraire.

jours pour les opprimés, jamais pour les vainqueurs. Cette profonde compassion pour la souffrance qui la caractérisait, n’avait pas la charité chrétienne pour base ; elle ne partageait pas la douleur des autres, pour la consoler par des sentiments élevés ou de belles pensées, mais pour en faire la sienne propre, et se désespérer des cruautés de la vie avec ceux qu’elle en voyait souffrir. La religion grecque, celle de son enfance, et pour laquelle elle conservait une certaine piété, la touchait précisément, parce qu’elle lui trouvait une commisération plus tendre envers les malheureux que les autres religions. Le même sentiment l’attirait de préférence en littérature ; et certainement la littérature russe est celle qui a donné à la pitié sa plus haute expression.

Sophie mit la dernière main à ses Souvenirs d’enfance ; Mme Hedberg les traduisit en suédois sur le manuscrit, et le soir, dans nos réunions de famille, on en faisait lecture chapitre par chapitre à mesure que la traduction se trouvait prête. Malgré la tristesse qui nous accablait toutes deux, notre ardeur au travail fut telle, que cet automne se montra très productif ; nous ne travaillions cependant plus ensemble. J’écrivis en octobre et novembre cinq nouvelles, que nous lûmes dans notre cercle intime, en alternant avec les Souvenirs de Sophie. Nous prenions plaisir réciproquement à nos travaux, nous faisions ensemble nos visites à nos éditeurs, nos livres — mon recueil « Ur Lifvet III[1] »

  1. Scènes de la vie réelle.