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sophie kovalewsky.

Je me déciderai probablement la semaine prochaine.

« Adieu pour aujourd’hui, mon bien cher Gösta. Gardez-moi votre amitié, j’en ai grand besoin, je vous assure. Embrassez Foufi pour moi et remerciez S… du soin qu’elle en prend. »


Elle se décida à demander un congé pour le semestre de printemps, et resta à Paris d’où elle m’écrivit en avril, en français.

« Laisse-moi d’abord te féliciter du grand bonheur qui t’arrive. Heureuse fille du soleil que tu es ! Avoir trouvé, à ton âge, un amour si grand, si profond, si réciproque, est une destinée digne d’un « Glückskind » comme toi. Mais c’était chose prévue, que de nous deux c’est toi qui serais le « bonheur », tandis que je suis, et resterai sans doute, « la lutte ».

« C’est singulier, plus je vis, plus je me sens dominée par le sentiment de la fatalité ou, pour mieux dire, du déterminisme. Le sentiment de la libre volonté qu’on prétend être inné dans l’homme, m’échappe de plus en plus. Je sens physiquement que, quoi que je veuille, quoi que je fasse, je ne puis changer un iota à mon sort. Maintenant je suis presque résignée ; je travaille parce que je sens le besoin de travailler, mais je n’espère rien, et je ne désire plus rien. Tu ne saurais t’imaginer combien je suis indifférente à tout ! Mais assez de moi ; parlons d’autre chose ; je suis contente de ce que tu penses de mon récit polonais ; je n’ai pas besoin de te dire combien je serais ravie si