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sophie kovalewsky.

térieur de la Russie et y vivait d’une heureuse vie de famille, avec une femme qu’il aimait et toute une bande d’enfants. Dans sa jeunesse, il avait eu de certaines velléités artistiques, abandonnées depuis, et quand il vit Sophie, jadis sa confidente, fêtée comme l’héroïne du jour, dans ce Paris où un triomphe personnel est plus enivrant qu’ailleurs, un certain regret sur l’inutilité de sa propre vie s’éleva en lui : elle avait conquis tout ce qui avait fait son rêve, — mais lui ? Il était resté un insignifiant propriétaire et un heureux père de famille. — Sophie, de son côté, considérant ce beau visage, encore jeune, avec son expression calme et harmonieuse, entendant surtout son cousin parler de sa femme et de leur heureuse union, se disait : « Lui, a trouvé le bonheur, il ne se dévore pas en luttes compliquées, mais prend la vie telle qu’elle est, c’est-à-dire tout simplement. »

Elle se proposait d’écrire une nouvelle sur cette rencontre et sur cette situation, et m’en parla ; je regrette fort qu’elle ne l’ait pas fait, elle y aurait défini sa philosophie personnelle.

Une lettre à mon frère, de cette époque, montre combien elle se sentait déchirée.


Paris, janvier 1889.


« Cher Gösta,

« Je reçois à l’instant votre amicale lettre. Combien je vous suis reconnaissante pour votre amitié. Oui,