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triomphe et défaite.

projets ; il est donc inutile d’en parler aujourd’hui. Du reste je ne puis nier que ces changements me soient personnellement favorables, car si le gros M. était resté, je ne sais pas comment j’aurais pu travailler. Il est si grand, si « puissamment taillé », selon l’heureuse expression de K. dans son discours, qu’il arrive à prendre terriblement de place, non seulement sur un canapé, mais encore dans la pensée, et je n’aurais jamais pu, en sa présence, penser à autre chose qu’à lui. Bien que pendant les dix jours de son séjour à Stockholm nous ayons été constamment ensemble, la plupart du temps en tête à tête, et que nous n’ayons parlé d’autre chose que de nous-mêmes, avec une franchise dont tu n’as jamais vu l’égale, je suis cependant hors d’état d’analyser mes sentiments pour lui. Les charmants vers de Musset rendront l’impression qu’il me fait :


Il est joyeux, et pourtant très maussade ;
Détestable voisin, excellent camarade ;
Extrêmement futile et pourtant très posé ;
Indignement naïf et pourtant très blasé,
Horriblement sincère et pourtant très rusé.

« Un véritable Russe par-dessus le marché. Il est certain qu’il a, dans son petit doigt, plus d’esprit et d’originalité, qu’on n’en extraierait de nous deux ensemble, même au moyen d’une presse hydraulique. »

La suite de la lettre parle d’un projet de voyage pour l’été suivant, qui ne fut cependant jamais réalisé ; c’est pourquoi je n’en cite que les passages principaux :