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sport et autres divertissements.

cette espèce de lâcheté dans un des personnages, du reste très remarquable, de son dernier roman, Vera Voronzof :

« Dans le monde de savants fréquenté par W., on ne l’aurait jamais soupçonné de poltronnerie ; ses collègues vivaient au contraire dans la crainte qu’il ne les mît dans l’embarras par quelque excès de hardiesse. Il se considérait aussi lui-même, au fond du cœur, comme un homme très brave. Dans ses rêves intimes, de ceux que l’on n’avoue pas à son meilleur ami, il se voyait en imagination dans les situations les plus dramatiques, et plus d’une fois, dans sa chambre de travail silencieuse, il défendit rudement quelque barricade attaquée. Mais en dépit de ce courage reconnu, W. conservait un profond respect pour les chiens de villages, et avait soin de ne pas faire connaissance avec les taureaux. »

Quant à Sophie, elle exagérait peut-être quelquefois ses frayeurs par une inconsciente coquetterie ; elle avait la qualité féminine, généralement appréciée des hommes, de trouver du plaisir à se laisser protéger, car elle joignait à une énergie masculine, et à un caractère parfois inflexible, l’inexpérience toute féminine que nous avons déjà signalée. Elle avait besoin d’un appui, d’un ami, pour l’aider dans toutes ses petites difficultés et les lui aplanir, et presque toujours elle le trouvait, sinon elle se sentait malheureuse et abandonnée comme une enfant. Elle ne savait ni acheter une robe toute seule, ni ranger ses affaires, ni même trouver son chemin