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sophie kovalewsky.

d’esprit. Le moindre mouvement du cheval lui semblait suspect et lui faisait pousser des cris. La leçon finie, elle expliquait ses frayeurs en les mettant sur le compte de la bête, qui était ombrageuse, ou qui avait le pas trop rude, ou encore de la selle qui était détestable. En réalité, elle ne pouvait supporter le trot plus de dix minutes, et si l’allure de son cheval augmentait de vitesse, elle criait, épouvantée, en mauvais suédois : « Cher Monsieur l’écuyer, arrêtez-le, arrêtez-le ! »

Les plaisanteries de ses amis sur ce chapitre étaient acceptées le plus aimablement du monde, mais à l’entendre parler avec des étrangers on aurait pu la croire une écuyère accomplie, montant les bêtes les plus furieuses au grand galop. Ce n’était pas une fanfaronnade, elle croyait sérieusement ce qu’elle disait ou plutôt s’imaginait de bonne foi pouvoir déployer cette belle énergie à la prochaine leçon ; elle se rendait au manège avec des intentions très braves, proposait de lointaines excursions équestres mais à peine à cheval, était reprise de la même terreur. C’était, assurait-elle, une espèce de nervosité qui la rendait particulièrement sensible au moindre son, et le bruit du piétinement des chevaux lui faisait perdre l’équilibre. Ses amis ne pouvaient alors s’empêcher de lui demander quel était le son qui la faisait sauter par-dessus toutes les barrières, toutes les fois quelle rencontrait une vache inoffensive, paissant dans une prairie, ou un chien dispose à la flairer en passant. Elle-même décrit parfaitement