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sophie kovalewsky.

relevés en une natte, une taille mince, d’une souplesse élégante, mais en disproportion avec une tête monumentale. La bouche était grande, d’un dessin irrégulier, mais pleine d’expression ; les lèvres fortes et fraîches, les mains petites et fines comme celles d’un enfant, un peu déformées cependant par des veines trop saillantes. Mais les yeux ! C’étaient eux qui donnaient à cette physionomie le caractère de haute intelligence si frappant pour chacun. De couleur indécise, changeant du gris au vert et au brun, grands, brillants, et à fleur de tête, ils regardaient avec une intensité qui semblait pénétrer jusqu’au fond de l’âme ; quoique pénétrants, ils étaient cependant pleins de douceur, de sympathie, et chacun se sentait prêt à révéler les secrets de son cœur sous l’influence magnétique de ce regard intelligent et chaud. Le charme de ces yeux était si grand, qu’on remarquait à peine leur légère infirmité : une myopie allant jusqu’au strabisme lorsque Sophie était fatiguée.

Elle se tourna vivement vers moi et s’avança en me tendant les deux mains ; son accueil fut cependant un peu contraint ; elle paraissait intimidée, et notre première conversation ne roula que sur son voyage en mer, qui lui avait donné une rage de dents ; je lui proposai de la mener chez un dentiste ; joli but de promenade en arrivant dans une ville inconnue ! Mais Sophie n’était pas de celles qui s’appesantissent sur de légers ennuis.

À cette époque, je travaillais à un drame : « Comment on fait le bien », dont je n’avais pas encore