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sophie kovalewsky.

et d’intervenir auprès de leur père, afin d’obtenir son pardon et son secours, dans la situation désespérée où elle se trouvait. J. venait d’être arrêté et condamné à mort !

Si l’on n’a pas oublié le portrait du général Kroukovsky, tel que le décrit Sophie dans les Souvenirs d’enfance, on peut se figurer le coup terrible que lui porta la cruelle vérité. Se savoir trompé par ses enfants, apprendre la façon dont sa fille aînée avait disposé de son sort, quelle blessure pour son cœur et pour ses principes ! Il avait dit autrefois à Aniouta, en découvrant qu’elle vendait secrètement ses romans : « Aujourd’hui tu vends ta plume, je vois le jour où tu le vendras toi-même ». Et cependant, chose étrange, maintenant qu’elle lui causait une peine beaucoup plus grave, il se résigna avec douceur. Sa femme et lui partirent aussitôt pour Paris, accompagnés de Sophie et de son mari ; le général se montra plein de bonté et d’indulgence pour sa fille coupable ; ses enfants lui en gardèrent une profonde reconnaissance, car ils s’attendaient à un traitement sévère qu’ils sentaient mériter. Leur attachement pour leur père s’en accrut, et devint plus tendre.

Je n’ai pu recueillir sur cette époque que quelques anecdotes : le général s’adressa à M. Thiers, avec lequel il avait des relations, afin d’obtenir la liberté de son futur gendre. M. Thiers prétendit ne pouvoir remédier à la situation ; mais dans le courant de la conversation, il raconta, comme par hasard, que les prisonniers, au nombre desquels se trouvait J.,