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sophie kovalewsky.

affreux chapeau qui lui cachait la figure, et lui donnait l’aspect d’une vieille femme. Aussi le professeur, ainsi qu’il me le conta lui-même plus tard, n’eut-il aucun soupçon de cette physionomie vivante et jeune, qui dès le premier abord exerçait tant d’attrait sur chacun.

L’étudiante reparut au bout d’une semaine, disant qu’elle avait résolu les problèmes. Weierstrass en douta, mais l’invita à s’asseoir près de lui, et se mit à examiner son travail point par point. À son grand étonnemenl, tout, non seulement était exact, mais encore finement et ingénieusement compris. Joyeuse de se voir approuvée, Sophie enleva vivement son chapeau ; ses cheveux bouclés s’échappèrent, son visage rougit de plaisir, et le vieux professeur fut ému d’une singulière et paternelle tendresse pour cette femme enfant, dont les facultés égalaient celles de ses meilleurs élèves. À partir de cette heure, le grand mathématicien devint l’ami le plus fidèle, le plus bienveillant, celui dont l’appui ne manqua jamais à Sophie ; elle fut accueillie dans la famille Weierstrass comme une fille ou une sœur.

Pendant quatre années consécutives, elle travailla sous la direction du grand professeur, dont l’influence sur elle fut absolue ; les travaux scientifiques de Sophie ne furent même en quelque sorte que le complément ou le développement des principes du Maître.

Les leçons s’organisèrent de la façon suivante : le professeur venait une fois par semaine chez elle, et