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rêves de jeunes-filles.

jeunes filles s’était animée ? Autant valait pour elles la prison, moins le sentiment de souffrir pour une grande cause, qui eût rendu toute captivité réelle plus supportable que l’exil prosaïque dont elles étaient menacées.

La timide Sonia prit alors un parti audacieux : cette enfant sensible à l’excès, qu’un regard sévère, un son de voix mécontent, rendait malheureuse, se montra à cette heure critique, inflexible comme une lame d’acier. Il y avait dans cette nature impressionnable, tendre et affectueuse, un fond de dureté, d’implacabilité, qui se révélait dans les moments décisifs. Elle s’attachait avec dévouement, comme un caniche, à ceux dont elle recevait de simples marques d’amitié ; mais elle pouvait aussi blesser de sang-froid ceux qu’elle venait de traiter avec tendresse, et fouler aux pieds tout sentiment d’affection, lorsque l’esprit de lutte s’éveillait en elle. Sa volonté prenait alors une intensité passionnée, et s’exprimait avec une violence dévorante, douloureuse, alors même que son cœur n’était pas en cause. Ce qu’elle voulait cette fois, c’était quitter à tout prix la maison paternelle, et s’en aller étudier à l’étranger.

Une réunion de famille devait avoir lieu chez ses parents ; sa mère sortit dans l’après-midi pour acheter des fleurs et de la musique nouvelle ; le Général se rendit à son cercle, et la gouvernante aida les femmes de chambre à décorer de plantes le salon. Les jeunes filles restèrent seules dans leur chambre, où leurs toilettes pour le dîner étaient déjà étalées.