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sophie kovalewsky.

Mais un événement imprévu se produisit dans la vie de Sophie.

Aniouta et Inès, qui tenaient à leur plan sans se laisser décourager par un premier échec, avaient choisi un autre libérateur. C’était un simple étudiant, mais d’une intelligence remarquable, et dont le désir était aussi de continuer ses études en Allemagne. Il appartenait à une bonne famille, chacun lui prédisait un bel avenir, on pouvait donc espérer que les parents d’Aniouta et d’Inès ne feraient aucune objection à un semblable parti. Cette fois la proposition se fit plus simplement. Aniouta ayant rencontré le jeune homme chez des amis communs, profita de l’occasion, pour lui parler de son projet dans le courant de la conversation. La réponse fut inattendue : il acceptait, mais avec un léger changement au programme, c’était Sophie qu’il voulait épouser.

Les trois conjurées se trouvèrent dans un grand embarras : le père consentirait-il jamais à se séparer de cette enfant, quand Aniouta, déjà âgée de vingt-trois ans, n’était pas mariée ? Un parti sortable eût, sans nul doute, été accepté pour celle-ci, car la nature fantasque et peu équilibrée de sa fille aînée donnait du souci au Général, et d’ailleurs elle était d’âge à se marier ; Kovalewsky pouvait donc être agréé malgré sa jeunesse, mais pas pour Sonia. La proposition fut effectivement rejetée sans appel par le Général, et le départ pour Palibino aussitôt décidé.

Que restait-il à faire ? Retourner à Palibino ? S’arracher aux espérances, aux intérêts, dont la vie des