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sophie kovalewsky.

involontaire, chaque fois qu’Aniouta et Dostoiévsky se querellaient.

Théodore Mikhaïlovitch m’appelait son amie ; aussi croyais-je naïvement le mieux comprendre et lui être plus chère que ma sœur aînée. Il faisait même l’éloge de ma beauté au détriment de celle d’Aniouta.

« Vous vous croyez très jolie ? disait-il à ma sœur ; mais votre sœur avec le temps sera beaucoup mieux que vous. Elle a une physionomie infiniment plus expressive et des yeux de bohémienne. Et vous ? vous n’êtes qu’une jolie petite Allemande, rien de plus. »

Aniouta souriait avec dédain ; et moi j’écoutais avec ivresse ces éloges inusités donnés à ma personne.

« C’est peut-être vrai ? » me disais-je avec un battement de cœur. Et je commençais à me préoccuper sérieusement de la crainte que ma sœur ne s’offensât de la préférence de Dostoiévsky pour moi.

J’avais grande envie de savoir ce qu’en pensait Aniouta elle-même, et s’il était vrai que je fusse destinée à être jolie quand je serais grande. Cette dernière question surtout m’intéressait.

Nous couchions dans la même chambre à Pétersbourg, ma sœur et moi, et c’est en nous déshabillant que nous avions nos causeries intimes.

Aniouta, comme d’habitude, debout devant son miroir, peigne ses longs cheveux blonds, et en fait deux nattes pour la nuit. Cela dure longtemps : les cheveux sont abondants, soyeux, et elle y passe le