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départ de l’institutrice.

un oncle moine. Dostoiévsky fut beaucoup plus satisfait de cette seconde nouvelle qu’il trouva plus mûrie. Le portrait de Michel offre quelque ressemblance avec celui d’Alexis dans les Frères Karamasof. Lorsque, plus tard, je lus ce roman au fur et à mesure de sa publication, la ressemblance me sauta aux yeux, et je la fis remarquer à Dostoiévsky, que je voyais souvent alors.

« Vous avez peut-être raison, dit Théodore Mikhailovitch en se frappant le front de la main ; mais, croyez-moi sur parole, j’avais complètement oublié Michel quand j’ai pensé à mon Alexis… Qui sait cependant s’il ne m’est pas revenu de façon inconsciente à la mémoire ? » ajouta-t-il après un moment de réflexion.

Mais, pour cette seconde nouvelle, les choses ne marchèrent pas aussi facilement que pour la première. Il survint une catastrophe : la lettre de Dostoiévsky tomba entre les mains de notre père, et fit scandale.

C’était encore un 5 septembre, date solennelle dans les annales de notre famille. Comme d’habitude, une nombreuse société se trouvait réunie. La poste, que nous ne recevions qu’une fois par semaine, arrivait précisément ce jour-là. La femme de charge, à qui la correspondance d’Anioula était adressée, allait, d’ordinaire, au-devant du postillon pour prendre ses lettres avant que le courrier fût remis à mon père ; cette fois, elle se laissa absorber par les invités, et le postillon chargé du courrier, ayant bu un coup en