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sophie kovalewsky.

Elle, qui n’a jamais quitté la maison sans l’escorte d’une femme de chambre ou d’un domestique, se sauve en cachette, prend le premier isvostschik venu, et se fait conduire dans la rue éloignée et pauvre, où, elle le sait, demeure son étudiant bien-aimé. Après beaucoup de recherches et d’aventures, suites de son inexpérience et de sa maladresse, elle trouve enfin la demeure du jeune homme ; mais elle apprend par un camarade qui vivait avec lui, que le pauvre garçon est mort du typhus depuis quelques jours. Le camarade lui raconte combien la vie de son ami a été dure, combien il a souffert, et comment dans son délire il parlait d’une jeune fille. Pour consoler Lilenka ou pour lui faire un reproche, il cite à la pauvre enfant en pleurs, ces vers de Dobrolioubof :


Je crains que la mort elle-même ne soit une plaisanterie ironique pour moi,
Je crains que tout ce que j’ai si ardemment
Et si inutilement souhaité vivant,
Ne vienne apporter un consolant sourire,
Qu’au cercueil qui m’enfermera…


Lilenka rentre chez elle sans que son absence ait été remarquée, mais elle garde la conviction qu’elle a laissé passer le bonheur. Elle meurt bientôt après, regrettant sa jeunesse inutile privée même de souvenirs.

Encouragée par ce premier succès, Aniouta commença aussitôt une seconde nouvelle, et la termina en quelques semaines. Cette fois son héros fut un jeune homme, Michel, élevé loin de sa famille par