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sophie kovalewsky.

« champagne. » Voilà où en vient une femme auteur… »

Ma sœur, on le comprend, n’était pas pressée de se vanter de son succès ; mais le mystère dont elle devait entourer son début littéraire donnait à celui-ci un charme particulier. Je me rappelle notre exaltation au bout de quelques semaines, quand nous reçûmes un numéro de l’Époque, et vîmes à la première page : le Songe, nouvelle de, J. O. (Jouri Obrelow était le pseudonyme choisi par Aniouta qui, naturellement, ne pouvait pas écrire sous son propre nom.)

Aniouta m’avait déjà lu le brouillon de sa nouvelle, mais ce récit me parut tout neuf, et merveilleusement beau, dans les colonnes du journal.

En voici le sujet :

L’héroïne, Lilenka, vit entourée de gens âgés, éprouvés par la vie, qui cherchent le repos et l’oubli dans un coin tranquille. Ils voudraient inspirer à Lilenka leur terreur de la vie et de ses agitations ; mais cette existence inconnue l’attire et l’appelle, bien qu’elle n’en connaisse que de tristes échos, qui viennent jusqu’à elle comme un bruit de vagues déferlant au loin derrière des montagnes. Elle croit qu’il existe quelque endroit


Où les hommes vivent plus gaîment.
Où ils vivent d’une vie véritable
Et ne tissent pas leur toile comme des araignées…


Comment arriver jusqu’à ces gens-là ? Lilenka subit inconsciemment la contagion des préjugés de son