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sophie kovalewsky.

une difficulté toujours croissante, et mes tentatives pour quitter ma chambre d’étude et pour monter au salon avec les « grandes personnes » me furent imputées à crime.

Une surveillance aussi vigilante me contrariait extrêmement. Je sentais qu’Aniouta avait des objets d’intérêt nouveaux, inconnus jusque-là, et j’éprouvais un désir passionné de les connaître. Chaque fois qu’il m’arrivait d’entrer à l’improviste dans la chambre d’Aniouta, je la surprenais à sa table, écrivant quelque chose. Je cherchai à lui faire dire ce qu’elle écrivait ; mais ma sœur, à laquelle la gouvernante ne marchandait pas le reproche de s’être dévoyée et de vouloir me détourner aussi de mon devoir, prit le parti de me renvoyer, dans la crainte de nouvelles querelles.

« Va-t’en, je t’en prie, me disait-elle avec impatience ; si Marguerite Frantzovna te trouve ici, nous serons bien arrangées toutes les deux ! » — Je rentrais dans ma chambre d’étude plus irritée encore contre cette institutrice, cause du silence de ma sœur. La tâche de la pauvre Anglaise se compliquait de jour en jour. J’entendais dire à table, et je le comprenais d’ailleurs fort bien, qu’il n’était plus de mode d’obéir aux personnes âgées ; mon sentiment de subordination s’en émoussa, et mes discussions avec mon institutrice se répétèrent presque journellement. Après une scène plus orageuse que les autres, Marguerite Frantzovna déclara qu’elle ne pouvait plus rester chez nous : cette menace s’était réitérée si