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ma sœur.

fisait pour le rendre à son tour intéressant et sympathique. Aniouta, grâce à lui, obtint des livres qu’elle ne pouvait se procurer ; on ne recevait chez nous que les journaux les plus sérieux et les mieux pensants : la Revue des Deux Mondes et l’Athenaeum en fait de journaux étrangers, et, comme journaux russes, le Messager Russe. Mon père avait consenti, par condescendance pour l’esprit du moment, à s’abonner cette année au journal de Dostoiévsky, l’Époque ; mais avec l’aide du popovitch, Aniouta se procura des journaux d’un autre calibre : le Contemporain, la Parole Russe, dont chaque numéro était salué par la jeunesse comme un événement. Une fois même il apporta un numéro de la Cloche, de Hertzen, un journal défendu.

Il serait injuste de croire qu’Aniouta acceptât les idées nouvelles prêchées par son ami, sans les soumettre à aucune critique. Plusieurs de ces idées la révoltaient, d’autres lui paraissaient trop avancées ; elle discutait et protestait. En tout cas elle se développa si rapidement sous l’influence de ses entretiens avec le popovitch et des livres qu’il lui procurait, qu’elle se transformait d’heure en heure, plutôt que de jour en jour.

Le fils du prêtre réussit à s’aliéner si complètement son père que, l’automne venu, celui-ci le pria de ne pas revenir aux vacances suivantes. Mais les germes jetés dans l’esprit d’Aniouta n’en continuèrent pas moins à croître et à se développer.

Elle changea même extérieurement, s’habilla de robes noires fort simples, avec de petits cols plats,