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ma sœur.

rement, il lui parut impossible de vivre sans leur trouver une solution.

Je vois encore une belle soirée d’été : le soleil se couchait, la chaleur était tombée, tout dans l’atmosphère était harmonie et douceur. Un parfum de roses et de foin fraîchement coupé pénétrait par la fenêtre ouverte. Les bruits de la ferme, mugissements des vaches, bêlements d’agneaux, voix des laboureurs — cette musique champêtre d’une soirée d’été, — arrivaient jusqu’à nous, mais si fondus, si adoucis par la distance que l’impression générale de calme et de repos en était augmentée. Joyeuse et tout épanouie, j’échappai un moment à la surveillance despotique de mon institutrice, pour m’élancer comme une flèche dans l’escalier de la tour, afin de voir ce qu’y faisait ma sœur. Quel spectacle s’offrit à ma vue ?…

Ma sœur, étendue sur un divan, les cheveux épars, tout illuminée par les rayons du soleil couchant, pleurait à chaudes larmes, sanglotant à se rompre la poitrine.

Je courus à elle épouvantée.

« Aniouta, qu’as-tu ? »

Elle ne répondit pas, et me fit signe de la main de m’éloigner et de la laisser tranquille. Mon insistance n’en fut que plus vive. Longtemps elle ne dit rien ; enfin, se soulevant avec peine, et d’une voix faible qui me parut brisée, elle murmura :

« Tu ne peux pas comprendre, toi ! Je ne pleure pas sur moi-même, mais sur nous tous. Tu es encore trop enfant, tu as le droit de ne pas réfléchir sérieuse-