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CENTRES D’ASSOCIATION ET DE PROJECTION

physiologique des premiers, n’existeraient même point chez les anthropoïdes et chez l’homme. Aussi, quelque complexes et abstraits que soient les processus les plus élevés de la raison humaine, il est toujours possible de réduire ces processus, comme en leurs éléments, à un certain nombre de sensations perçues et associées. Multipliez les associations de ces sensations, augmentez indéfiniment le nombre de leurs rapports de dépendance, de leurs conditions d’évocation, successive ou simultanée, vous créerez un appareil à penser ou à raisonner, une machine logique aux rouages de plus en plus délicats et synergiques : vous ne retrouverez jamais au fond de toutes les opérations de cet entendement que ce qui y est entré, des sensations, des perceptions, des images et des concepts de plus en plus abstraits, résultant d’associations innombrables, solidarisées par des connexions anatomiques encore plus nombreuses. Il n’existe pas un seul animal, vertébré où invertébré, chez lequel penser, ou se représenter plus ou moins vaguement les rapports existant entre lui et le monde, ne soit point sentir. L’assertion prêtée à Alcméon, que le cerveau de l’homme se distingue de celui des autres animaux par l’étendue de son intelligence est donc exacte : elle n’implique nullement une différence d’origine ou de nature pour les fonctions de cet organe dans l’homme et dans les autres animaux qui possèdent un système nerveux. Enfin, comme on ne pense point sans images, ainsi que le dira Aristote, et que toute représentation n’est qu’un complexus de sensations perçues et associées d’après les lois connues de l’association, il suit que penser est encore et toujours sentir. C’est bien ainsi que tous les anciens physiologues grecs du VIe et du Ve siècles l’ont entendu : penser et sentir était pour eux la même chose, comme le témoigne à plusieurs reprises Aristote : οἱ ἀρχαῖοι τὸ φρονεῖν καὶ τὸ αἰσθάνεσθαι ταύτον εἶναί φασιν.

Il semble bien que c’est à ce physiologiste ou physiologue que pensait Platon lorsque, dans le Phédon (XLV, 96 B), Socrate, faisant un retour vers ses anciennes études sur la nature, demande avec ironie, « si c’est le sang qui fait la pensée, ou l’air, ou le feu, ou si ce n’est aucune de ces choses, mais le cerveau (ὁ δ’ ἐγκεφλος) qui nous procure les sensations de l’ouïe, de la vue, de l’odorat ; si, de ces sensations (αἰσθήσεις), naissent la mémoire et la pensée (μνήμη καὶ δόξα), et, de la mémoire et de la pensée, arrivées au repos, la science (ἐπιστήμη)[1] ». Les anciens qui ont considéré

  1. Voici, d’après Sommer, la traduction entière de ce passage qui renferme comme la synthèse des différents systèmes des physiologues antérieurs à Socrate touchant la nature et la vie, la vie des plantes et des animaux, conçus comme des êtres vivants, sentants et pensants, selon la conception hylozoïsie de l’univers : « Jeune, j’étais enflammé d’un prodigieux désir de connaître ce qu’on appelle l’hisoire de la nature (περὶ φύσεως ἱστορίαν) ; car je trouvais grande et divine la science qui enseigne les causes de chaque chose (ειδέναι τὰς αἰτίας ἑκάστου), ce qui la fait naître, ce qui la fait mourir, ce qui la fait