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LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

principes mêmes, éternels et incréés, de tout ce qui existe. Aristote inclinait si fort vers cette interprétation, qu’il dit expressément, en laissant percer sa désapprobation de telles doctrines, qu’Alcméon et les Pythagoriciens « semblent avoir rangé les éléments dans le seul genre de la matière ; car, d’après eux, c’est de ces éléments qui lui sont immanents que se compose et se forme la substance des choses[1] ».

Théophraste regarde aussi Alcméon comme un précurseur des philosophes qui, tels que Parménide, Empédocle et Platon, ont soutenu que le semblable est connu par le semblable, c’est-à-dire que la condition de la connaissance de l’objet par le sujet, c’est l’identité ou l’homogénéité des éléments constituants les parties des choses senties et celles des organes impressionnés.

Alcméon, d’après Théophraste, aurait en outre insisté sur la différence qui sépare la sensibilité de l’intelligence et même essayé de faire sortir de cette distinction un caractère propre à l’homme, celui d’être intelligent au regard du reste des animaux, considérés simplement comme êtres sentants, tentative qui ne rappelle pas seulement la classification de Linnée, mais l’hypothèse, toute récente, de Paul FLechsig, relative aux centres d’association et aux centres de projection de l’écorce cérébrale. D’après cette hypothèse, les centres d’association, seuls susceptibles de fonctions intellectuelles proprement dites, encore indifférenciés chez tous les vertébrés inférieurs aux singes supérieurs, n’auraient encore atteint que chez l’homme le degré d’évolution compatible avec les fonctions abstraites du langage et de l’intelligence discursive. Il n’en saurait résulter toutefois, pas plus pour Alcméon que de nos jours, que, comme on le lui fait dire, « penser soit autre chose que sentir » : ὡς ἕτερον ὃν τὸ φρονεῖν καὶ αἰσθάνεσται[2]. Alcméon serait sans doute le seul physiologue grec qui, à ces hautes époques, ait soutenu une pareille doctrine ; il n’en existe point de traces chez les philosophes naturalistes d’Ionie, avec lesquels Alcméon présente plus d’aflinité qu’avec les Pythagoriciens, encore que l’influence de ceux-ci sur sa doctrine ne soit pas niable. Les centres d’association de la physiologie contemporaine ne sont pas en effet constitués sur un autre plan que les centres de projection, où sont perçues et conservées les sensations projetées du monde extérieur, par les canaux des sens, sur les différents lobes des hémisphères cérébraux : ils n’en diffèrent ni par la structure ni par la texture de leurs éléments anatomiques. Sans les centres de projection, les centres d’association, simple différenciation anatomique et

  1. Aristote, Ibid. ἐοίκασι δ’ ὡς ἐν ὕλης εἴδει τὰ στοιγεῖα τάττειν; ἐκ τούτων γὰρ ὡς ἔνυπαργ όντων συνεστάνα : μαὶ πεπλάσθα : φασὶ την οὐσίαν.
  2. Théoph., De sensu, 25-26.