Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
AVANT LE PARNASSE

laire comme au moins son égal. À coup sûr, tous les deux frayent la voie au Parnasse.

Tout en annonçant un art nouveau, les Fleurs du Mal ont encore quelque chose de romantique, notamment leur satanisme ; Baudelaire pourtant n’a rien de très diabolique : sa dévotion au Démon, paraît plutôt une attitude de mystificateur qui connaît l’occultisme uniquement par des livres[1]. Quand il semble parler sérieusement de Satan, on voit que c’est chez lui une survivance de son catholicisme ; ne croyant plus à Dieu, il croit encore au diable[2]. À certains moments il se sent possédé ; il cherche sur sa figure un reflet de la lumière infernale. Son moi, son second moi, l’effraye quand il le contemple dans les Fleurs du Mal. Il n’ose pas les publier tout entières. Il y a mis tant de dégoût, de haines, de rages, que tout autre livre de Confessions, même celles de Jean-Jacques, lui paraît bien pâle à côté. Enfin, le succès de ce livre inquiétant lui inspire l’audace d’aller plus loin encore : « je soulagerai ma colère par des livres épouvantables. Je voudrais me mettre la race humaine tout entière contre moi[3] ! » Ne se croirait-on pas en 1830, et Banville n’a-t-il pas raison de dire que Les Fleurs sont le plus romantique de tous les livres de ce temps[4] ? C’est ce que Barbey d’Aurevilly écrit à Baudelaire sous une autre forme, avec une admiration familière : « vos vers sont magnifiques,… de votre inspiration la plus enragée, ô ivrogne d’ennui, d’opium et de blasphèmes. Le Voyage est d’un élan lyrique, d’une ouverture d’ailes d’Albatros, que je ne vous connaissais pas, crapule de génie[5] ! »

Mais, à côté de cette fougue romantique, on voit apparaître la réserve parnassienne : les pièces les plus personnelles au fond sont laissées dans la pénombre : « j’ai horreur de prostituer les choses intimes de la famille[6] ». On voit apparaître dans Les Fleurs certains genres qu’on croyait créés par le Parnasse, et qui sont déjà dans Baudelaire, comme les tableaux parisiens où il est supérieur à Coppée, à Mérat, et égal à Th. Gautier[7]. Après Théo, il remet à la

  1. 1. Arsène Houssaye, Confessions, II, 250 ; Jacques Crépet, « Une source baudelairienne ignorée », dans le Figaro du 19 mai 1928 ; Poizat}}, Le Symbolisme, p. 54, 48-49.
  2. Lettres, p. 267-268.
  3. Lettres à sa mère, dans la Revue de Paris, Ier septembre 1917, p. 115 ; 15 septembre, p. 321, 352, 356 ; Ier novembre, p. 628.
  4. Petit traité, p. 198.
  5. Crépet, Baudelaire, p. 331.
  6. Revue de Paris, 15 septembre 1917, p. 325.
  7. Pierre Flottes, Baudelaire, p. 203.