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AVANT LE PARNASSE

nous être trompé de beaucoup. Notre version est presque toujours littérale : nous l’avons montrée à une hirondelle tombée dans notre chambre par la cheminée, et elle n’en a pas paru mécontente :


Déjà plus d’une feuille sèche
Parsème les gazons jaunis[1]… »


De même, le 7 avril 1851, les lecteurs de La Presse trouvent dans leur journal, au lieu du feuilleton, le Premier Sourire de printemps, ainsi présenté : « il fait aujourd’hui un temps superbe ; le ciel est bleu, le soleil brille, et n’était notre tâche dominicale qu’il faut remplir, nous serions tout à fait de l’avis de M. de Montalembert sur le repos du septième jour…, nous irions saluer le printemps dans le Bois de Boulogne ou sur les coteaux de Meudon. Ne pouvant lui faire cette politesse, nous lui adresserons, en manière d’hymne, une petite pièce de vers que nous avons rimée l’autre semaine, en regardant éclater les premiers bourgeons sous les pluies et les giboulées de mars ;


Tandis qu’à leurs œuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps[2]… »


La jolie monture ! Dans les Émaux et Camées nous n’avons plus que les pierres, mais elles sont toujours précieuses.

Sous ce scintillement y a-t-il une idée profonde ? Y a-t-il un système philosophique ? Question peut-être oiseuse, car les poètes ne sont pas tenus d’être des philosophes ; mais on a pris l’habitude d’exiger d’eux une conception particulière du monde, sous peine d’être traités de minus habentes, alors qu’on ne demande ni aux romanciers, ni aux dramaturges, ni même aux historiens s’ils se sont créé un système de l’univers. On a durement reproché à Théophile Gautier de n’avoir en philosophie que des négations, des dédains, ou des ignorances[3]. Lui-même a prêté le flanc à ces critiques par certaines boutades qu’il lançait dans des conversations particulières, et que les Goncourt recueillaient gravement[4]. Pourtant, une fois, il semble avoir voulu résumer son expérience de la

  1. Moniteur universel du 19 septembre 1859.
  2. De Spœlberch, Histoire, I, 444.
  3. Philarète Chasles, Mémoires, I, 302-303 ; Maxime Du Camp, Souvenirs, I, 307.
  4. Journal, I, 331.