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HISTOIRE DU PARNASSE

Ce n’est pas de la simple description, de la reproduction plastique : c’est un art créateur. La réalité pâlit auprès de cette création. Mme Judith Gautier s’en rend compte le jour où elle peut comparer La Symphonie en blanc majeur à l’héroïne de la pièce, Mme de Kalergis, née Nesselrode, devenue la Comtesse Mouchanoff, celle en l’honneur de qui Henri Heine n’avait pu que démarquer les vers de Gautier : « Auprès d’elle la neige de l’Hymalaïa paraît grise comme la cendre ; le lis, que sa main saisit, aussitôt par le contraste ou par jalousie devient couleur de rouille ». Mme Judith Gautier, assise près de la Comtesse, se rappelle une des strophes les plus passionnées de La Symphonie :


Son sein, neige moulée en globe,
Contre les camélias blancs
Et le blanc satin de sa robe
Soutient des combats insolents.


« Je cherche, ajoute la fille du poète, les camélias blancs près de la neige de sa poitrine, très marmoréenne en effet, mais par le secours peut-être du blanc de perles et d’une neige de poudre de riz[1]1 ». Ce sont maintenant les vers de Gautier qui soutiennent un insolent combat contre la beauté réelle du modèle ; aux accents de La Symphonie en blanc majeur, qui ne peut plus lui servir de marche triomphale, la beauté célèbre apparaît comme un ivoire jauni. Encore ne sommes-nous pas très sûrs de « réaliser » toute la grandeur de l’art du poète, car nous contemplons, dans Emaux et Camées, ces pièces serrées les unes contre les autres. À être ainsi pressées, quelques-unes ont perdu le charme de leur première révélation ; Gautier avait commencé par sertir ces pierres précieuses dans le beau métal de sa prose. C’est ainsi que la chanson d’automne, Ce que disent les Hirondelles, avait paru d’abord dans un feuilleton sur une comédie de Mme Ancelot, Marie ou les trois Époques ; Mme Ancelot n’a qu’une colonne et demie pour sa part, et tout le reste est consacré aux préparatifs de départ des hirondelles : « nous nous sommes mis à transcrire leurs gazouillements de la façon la plus exacte possible… S’il y a des fautes dans notre traduction, considérez qu’il n’existe pas encore de dictionnaires pour la langue des oiseaux, et que nous n’avons pu y chercher les mots d’un sens douteux ou d’une acception rare. Toutefois nous pensons ne pas

  1. Judith Gautier, Revue de Paris, Ier mars 1909, p. 177, et Ier avril, p. 567-568.1