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AVANT LE PARNASSE

tance au rythme : il tâtonne longtemps avant de se décider ; ainsi le sonnet Modes et Chiffons est d’abord essayé en octosyllabes :


Si j’étais Pétrarque ou Ronsard,
Prenant une lyre païenne
Ou la mandore italienne,
Je vous chanterais avec art.


Il se sent à l’étroit dans ce petit vers, et cherche si l’alexandrin ne ferait pas mieux :


Si j’étais ou Pétrarque, ou Shakespeare ou Ronsard,
Maniant la mandore ou la lyre païenne,
De concettis, suivant la mode italienne,
Je voudrais pailleter un sonnet avec art.


Cette forme, maintenant, lui paraît trop large pour l’idée qui est menue ; la cheville apparaît, ou mieux, la bourre, comme disait Malherbe. Alors, il se décide pour le vers de dix pieds qui, dans sa légèreté ironique, convient mieux au sujet :


Si comme Pétrarque ou le vieux Ronsard,
Viole d’amour ou lyre païenne,
De fins concettis à l’italienne
Je savais orner un sonnet plein d’art[1]


Son traité de versification a le grand avantage de ne pas présenter de termes techniques. Pour définir le vers de douze pieds sans césure, il exprime la sensation produite par ce vers, dans une image : « la coulée d’un seul jet du grand alexandrin[2] ». Sa poétique a cette grande supériorité sur les traités classiques qu’elle est écrite par un poète. Il parle du vers avec le respect que mérite une forme qui assure l’immortalité de l’œuvre et de l’auteur : « quand l’on écrit des vers, il faut songer que ce seront peut-être précisément ceux-là seuls qui resteront de nous dans mille ans, car on ne retrouve de toute une civilisation disparue que des fragments de statues et des lambeaux de poèmes, du marbre et des vers[3] ! »

Remarquons cette image : elle est une époque dans la vie littéraire de Gautier. Jeune romantique, il compare la poésie à la peinture ; maintenant, conscient de sa force, de son originalité, sentant que grâce à lui un art nouveau va paraître, il change son terme de comparaison : « le vers est matière étincelante et dure comme le

  1. Poésies, II, 209 ; de Spœlberch, Histoire, II, 2.
  2. Préface aux Œuvres de Baudelaire, I, 42.
  3. R. D. D.-M., Ier avril 1841, p. 126.