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XLVI
HISTOIRE DU PARNASSE

vers lâché, contre la prétendue inspiration qui, les yeux au ciel, ne daigne pas contrôler le travail sur le papier ; contre l’estompe qui triche en noyant le dessin ; contre la rime insuffisante[1]  ». Telle est aussi, très nettement, l’opinion du dernier survivant du Parnasse, M. Frédéric Plessis : « Si l’on voit dans le Parnasse une école poétique, on se trompe complètement. En ce sens il n’y a jamais eu de Parnasse[2]  ». Un des rares Parnassiens qui admettent le contraire, prétend, par une contradiction amusante, qu’il n’était pas de cette école ; Theuriet a beau assister aux réunions du passage Choiseul, aux dîners parnassiens, être édité chez Lemerre et figurer dans les deux Parnasses de 1869 et de 1876, il dit gravement, après la publication en 1867 de son premier recueil, Le Chemin des Bois : « les poètes qui fréquentaient passage Choiseul me regardaient maintenant comme un des leurs, bien que je n’appartinsse pas à l’école du Parnasse[3]  ». C’est jouer de malheur ! Il y a là un mystère, mystère d’ailleurs facile à percer.

En effet, Coppée qui, tout à l’heure, protestait avec une nuance d’émotion, laisse entrevoir le pourquoi de sa protestation : l’orgueil littéraire : « Une réunion de poètes n’est pas un orchestre, dit-il à Heredia. Si modeste virtuose qu’il soit, chacun d’eux est trop fier pour se contenter d’une place de chef de pupitre. Le poète est un violon solo, et ne joue que sa propre musique. Il doit chanter seul. C’est dans la paix et dans la solitude de la nuit, quand tous les nids se sont tus, qu’on entend bien le rossignol[4]  ». En public, les Parnassiens nient l’école, et surtout le chef, parce qu’ils ne veulent pas laisser croire au public qu’ils ont été élèves, sous la férule d’un maître. Puis ils sont jeunes, et c’est le propre de la jeunesse de croire qu’elle perdrait son originalité en s’asseyant sur les bancs[5] . Mais chacun d’eux, in petto, est bien obligé de reconnaître ce qu’il doit au milieu et au chef. S’ils ne le faisaient pas, d’autres s’en chargeraient pour eux : dans la préface du Parnasse Breton, en 1889, Tiercelin tient à rendre « un témoignage de respect bien dû au Maître incontesté autour duquel s’est fait le mouvement de rénovation poétique de cette fin de siècle[6]  ».

  1. Discours de réception à l’Académie, 23 décembre 1909.
  2. Toutes les fois que je fais intervenir l’autorité de Frédéric Plessis, j’utilise des informations et des documents inédits.
  3. Souvenirs, p. 248.
  4. Le Temps du 31 mai 1895.
  5. Tharaud, Mes années chez Barrès, p. 103.
  6. Le Parnasse breton contemporain, p. 11.