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XL
HISTOIRE DU PARNASSE

a l’allure anti-poétique par excellence, car l’idée qu’il fait naître en nous est essentiellement particulière et se réduit à la vision d’un certain homme étendu sur ce lit, c’est-à-dire à la plus ordinaire et la plus plate vision[1] ». Sans doute le bistouri de Calmettes est lourd, gauche ; ce n’est pas le coup de scalpel magistral de Leconte de Lisle, mais justement cela nous donne la note moyenne de la critique parnassienne. C’est inintelligent même, car on en pourrait dire autant des plus beaux vers classiques :


Et du temple déjà l’aube blanchit le faîte :


Si l’on voulait appliquer à cet alexandrin magnifique le procédé critique du parnassien Calmettes, il faudrait dire : — l’idée que ce vers fait naître en nous se réduit à la vision d’un certain temple et d’une certaine lumière atteignant le faite de ce temple. — N’importe ; Calmettes a raison devant les parnassiens. Musset supprimé, ils s’en prennent à l’auteur de Jocelyn : comme l’avoue un des conjurés, « on ne pardonnait pas à Lamartine, archange en exil, son divin mépris, hautainement avoué, pour l’art terrestre des vers. On rappelait le génie à l’ordre[2] ».

Pour V. Hugo, c’est un peu plus délicat, parce qu’il est l’Exilé. On ne l’aime pas, mais on essaye de dissimuler, en public : c’est Verlaine qui révèle le secret de la corporation[3]. La brouille, du reste, ne pouvait pas être longtemps dissimulée : dans la première édition du Parnasse Contemporain, en 1866, le nom de Hugo n’apparaît pas. Barbey d’Aurevilly s’en étonne ; X. de Ricard essaye de masquer le conflit dans sa déclaration du 30 octobre : « en ce qui concerne Victor Hugo, l’éditeur Lemerre possède une lettre du grand poète où celui-ci lui dit que, par suite d’engagements avec son éditeur, il lui est difficile de publier des vers dans le Parnasse[4] ». Difficile, soit ; impossible, non. Il y a autre chose : Hugo est tenu au courant des sentiments du Parnasse par Mme Drouet, par ses amis, surtout par le plus fidèle, Paul Meurice : Banville et Vacquerie se laissent séduire, et collaborent au Parnasse : « M. Paul Meurice, dit Ricard, fut implacable[5] ». C’est qu’il était au courant des mauvais propos, des plaisanteries méchantes. On se raconte,

  1. Leconte de Lisle, p. 238-239.
  2. Jean Aicard, discours de réception, 23 décembre 1909.
  3. X. de {{sc|Ricard, Revue (des Revues), février 1902, p. 305.
  4. E. Lepelletier, Verlaine, p. 194.
  5. Petit Temps du 6 décembre 1898 ; cf. mon Histoire du Romantisme, II, 294.