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LE DISPERSION

rien de ses convictions littéraires : il défend publiquement Musset qu’il aime avec passion : « que maintenant tous les Parnassiens du monde se liguent contre lui, lui reprochent ses rythmes informes et ses rimes mal sonnantes, ils n’ôteront pas un atome à son immortalité. Il y a des poètes qui n’ont ni rime ni rythme, mais qui résistent aux dents des Zoïles comme la lime aux dents des serpents. Bien des poètes, patients ciseleurs, n’ont à m’offrir que de l’eau froide au fond de coupes dignes de Benvenuto. Libre à eux d’accuser Musset de n’avoir qu’une coupe de bois pour sa liqueur. La coupe est de bois, cela est vrai, mais la liqueur est enivrante ». C’est de la bravoure : quant à sa vraie grandeur, c’est ailleurs qu’il donne sa mesure, comme critique d’art[1].

Raoul Gineste est un élégiaque, fin, délicat, excellent technicien. Le Présent de Noces est un morceau d’anthologie[2].

Ch. Grandmougin donne Le Départ, pièce parfaite, si on supprime les cinq derniers vers, et La Chanson de Janvier, digne des Émaux Bressans :


Ô le clair matin, la belle gelée !
Un soleil d’argent sur la plaine blanche
Verse une clarté frileuse et voilée :
On sonne la messe à toute volée.
Ô la bonne bise, ô le beau dimanche !


Édouard Grenier nous intéresse surtout par ses Souvenirs. Guy de Binos, Isabelle Guyon, Ernest d’Hervilly, passent comme des ombres. Lacaussade est plus intéressant. Il a une jolie pièce sur Le Bengali qui meurt en France, tué par l’hiver :


Rêvant à l’île maternelle,
Aux nuits tièdes comme les jours,
Il mit sa tête sous son aile,
Et s’endormit, mais pour toujours.


C’est un peut romance, mais c’est sauvé de la fadeur par une couleur exotique très juste. Lacaussade est né à l’île Bourbon un an avant Leconte de Lisle. D’abord son ami, presque son protecteur, Lacaussade finit par détester son compatriote qui a le tort de réussir mieux que lui les mêmes sujets[3]. Leur inimitié fait la

  1. Louis de Fourcaud, p. 343, 46 et note 1.
  2. Cf. J. Tellier, Nos Poètes, p. 114-115.
  3. Calmettes, p. 156 ; Jules Tellier, p. 70-71.