Il a, en effet, beaucoup d’affaires, petites et grandes, les unes dans l’intimité, les autres devant la justice, en France et en Belgique. Il se révèle mauvais camarade et de fréquentation fâcheuse : un de ses plus fervents admirateurs reconnaît qu’il se plaît « dans la godaille populacière », qu’il vit « dans la crapule[1] ». Il boit, de plus en plus bassement, errant de taverne en assommoir, pilier de la jadis fameuse Académie de la rue Saint-Jacques, ornée de quarante tonneaux[2]. Il avoue du reste qu’il est devenu un ivrogne dès l’âge de dix-huit ans[3]. Dans le salon de Leconte de Lisle, au début, il a soin d’entrer à jeun d’absinthe ; il s’observe, reste silencieux, paraît terne. Puis, enhardi, il arrive, visiblement entre deux alcools, pérore, et manque de tenue[4]. Le processus morbide évolue : au passage Choiseul il se met dans des colères terribles, et finit par disparaître, au grand soulagement des habitués[5]. On se raconte, aux dîners littéraires, une scène conjugale : Verlaine, reprochant à sa femme de ne rien comprendre à ses « amours de tigre », et finalement mettant le feu aux cheveux de la malheureuse qui s’enfuit[6] ! Chez Nina de Villard il s’arme brusquement d’un couteau de table, et veut frapper à tort et à travers ; désormais, quand il apparaît on met sous clef les couteaux pointus, on ne laisse que les couteaux ronds. Un jour il sort son canif, et veut blesser Léon Hennique ; on l’expulse, par la force[7]. Plus tard, c’est sur la voie publique qu’il voit rouge : son ami Lepelletier cherchant à l’empêcher de provoquer des noctambules au Pré Catelan, Verlaine tourne sa fureur contre son camarade, dégaine le stylet de sa canne armée ; il fonce sur Lepelletier qui pare de son mieux, jusqu’à ce qu’un garde arrive, et les poursuive jusqu’à la Porte Maillot[8] ! Enfin, en Belgique, il blesse Rimbaud d’un coup de revolver en pleine rue ; on sait pourquoi : le coupable a avoué[9].
- ↑ Laurent Tailhade, Quelques Fantômes, p. 49-50, 39. — Cf. E. Raynaud, La mêlée symboliste, II, 30-32.
- ↑ R. de Gourmont, Promenades, IV, 20 ; M. Coulon, Anatomie Littéraire, p. 250-251 ; Laurent Tailhade, ibid., p. 6.
- ↑ Œuvres, V, 98-99, 107-110, 118.
- ↑ Calmettes, p. 279.
- ↑ Lepelletier, p. 281.
- ↑ Jules Claretie, Revue de France, Ier juillet 1923, p. 35.
- ↑ Dreyfous, Ce que je tiens à dire, p. 39-41 ; Dufay, Mercure de France du Ier juin 1927, p. 347.
- ↑ Lepelletier, Verlaine, p. 183-186.
- ↑ Œuvres, V, 195, 78-79 ; George Moore, Mémoires de ma Vie morte, p. 75 sqq ; P. Berrichon, Mercure de France, Ier lévrier 1912, p. 449 sqq. ; Ier mars, p. 126 sqq.