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HISTOIRE DU PARNASSE

sages, puisqu’ils vivent cachés, un livre à la main, in angello cum libello ; je vois des théologiens qui poursuivent, à travers les subtilités de la scolastique, un idéal supérieur ; je vois un roi et sa chevalerie conduits par une bergère. Enfin, je vois partout les saintes choses du travail et de l’amour, je vois la ruche pleine d’abeilles et de rayons de miel. Je vois la France, et je dis : Mes pères, soyez bénis ; soyez bénis dans vos œuvres qui ont préparé les nôtres ; soyez bénis dans vos souffrances qui n’ont point été stériles, soyez bénis jusque dans les erreurs de votre courage et de votre simplicité[1] ». J’ai cité cette page in extenso, parce qu’elle rachète bien des choses ; c’est la plus généreuse des inspirations d’Anatole France, mais c’est aussi une déclaration de guerre, et voici l’attaque brusquée : un beau jour, dans un de ses articles du Temps, France fait l’éloge de ce symbolisme que haïssait Leconte de Lisle[2]. Huysmans prétend gaîment que le symbolisme, auquel il ne croit pas, est « une immense mystification montée par A. France pour embêter les Parnassiens[3] ». Leconte de Lisle, lui, trouve la plaisanterie amère ; il est persuadé, très sérieusement, que son ancien élève a inventé le symbolisme pour lui jouer un mauvais tour ; il laisse voir la profondeur de sa blessure[4]. Il se fâche violemment, et sa fureur vient de ce qu’il a parfaitement compris, dans l’article qui lance Moréas, toutes les perfidies, toutes les attaques sournoises qui le visent, lui, Leconte de Lisle : « les révolutionnaires s’étonnent seuls qu’on fasse des révolutions après eux… M. Théodore de Banville, le plus habile des poètes à manier les rythmes… Banville, notre père… » France fredonne un De Profundis sur l’école parnassienne enterrée par le groupe de Moréas ; celui-ci marche en triomphateur, « suivi de cinquante poètes, ses disciples ! » Enfin, Anatole France traite de ridicule toute la prosodie parnassienne,, et voici le « Bonsoir, Messieurs ! » qu’il lance à ses anciens compagnons : « j’ai jadis récité dévotement, en bon parnassien, les litanies de Sainte-Beuve à Notre-Dame la Rime… Je ne renie pas ma foi. Mais je puis, sans apostasie, reconnaître que la prosodie qui s’en va était bien livresque[5] ».

  1. La Vie littéraire, I, 98. J’ai déjà cité quelques lignes de cette belle page dans le chapitre sur les Poèmes Barbares ; cf. Camille Jullian, Anatole France historien, dans les Nouvelles Littéraires du 19 avril 1924.
  2. J. J. Brousson, L’Illustration du 15 novembre 1924, p. 455.
  3. Huret, Enquête, p. 180.
  4. Id., ibid., p. 285.
  5. La Vie littéraire, IV, 148-155 ; cf. Huret, Enquête, p. 6-7, 139 ; Barthou, Conferencia du Ier mai 1925.