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HISTOIRE DU PARNASSE

fidèles, venait d’être battu, avec les routines de la stratégie française, par l’esprit luthérien du libre examen[1]  ». Ainsi l’Allemand, asservi à tous ses maîtres, esclave de son fanatisme militaire, prenant pour unique vérité le mensonge utile à sa race, arrivant logiquement au culte de la force et au mépris du chiffon de papier, traité ou dépêche, aurait été l’idéal de celui qui a écrit Le Soir d’une bataille ! On dirait que cet Essai a été traduit de l’allemand.

Pouvons-nous accorder une créance plus solide au livre de Fernand Calmettes, Leconte de Lisle et ses amis ? Calmettes est chartiste : il connaît donc les bonnes méthodes[2] . Il connaît aussi le milieu parnassien ; c’est un ami d’A. France, qui lui dédie ses Idylles et Légendes. C’est un habitué des soirées chez Leconte de Lisle. Il ne se contente pas d’y prendre des notes, il y parle, et fort bien, car c’est lui qui apparaît plus d’une fois dans les discussions, désigné par une périphrase modeste : un des assistants, tel autre assistant, etc. Un jour que l’éloquent anonyme a soutenu une thèse sur la vraie poésie, Leconte de Lisle, qui l’approuve, s’approche de lui, et, d’une voix brève : « Pourquoi ne faites-vous pas des vers ? — Et de sa part, reconnaître à l’un de ses intimes la faculté de pouvoir faire des vers, c’était lui décerner un brevet de mentalité très haute[3]  ». Nous voilà discrètement prévenus de la valeur du témoin. Son témoignage est d’autant plus considérable qu’il essaye de n’être pas trop personnel. Calmettes cherche à être l’interprète exact de la pensée collective du groupe parnassien[4] . Il veut résister aux tentations du démon de l’anecdote ; ainsi, racontant une historiette péjorative sur Heredia, Calmettes s’arrête, après le point final, et se critique : « j’avoue que cette anecdote me met en défiance, non pas seulement parce qu’elle est trop belle et pour ainsi dire plus vraie que la vérité, mais avant tout parce que je ne l’ai pas entendue de la bouche de Leconte de Lisle[5]  ». C’est sage ; il eût été plus sage encore de supprimer un cancan suspect et méchant, mais il ne faut pas demander aux gens de lettres, même sortis de l’École des Chartes, un pareil héroïsme, surtout quand il s’agit pour eux de satisfaire leurs rancunes. Il y en a tant, dans ce livre, qu’on serait tenté de trouver son titre incomplet, et de l’allon-

  1. Essai, p. 243.
  2. Huard, Bulletin du Bibliophile, 1925, p. 138.
  3. Leconte de Lisle et ses amis, p. 285-286.
  4. Ibid., p. 292.
  5. Ibid., p. 206.