Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/354

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
290
HISTOIRE DU PARNASSE

CHAPITRE XII
Les grands disciples fidèles : J.-M. de Heredia

Dierx est, après Leconte de Lisle, le plus grand poète du Parnasse, mais il n’en est pas le meilleur représentant ; l’art parnassien s’est incarné dans Jose-Maria de Heredia[1].

Sa formation nous est bien connue par la remarquable thèse de M. Miodrag Ibrovac, et par les confidences des siens. Nous savons ce qu’il tient de l’Espagne, et de Cuba où il est né : sa religion et son éducation première. Chaque jour il va souhaiter le bonsoir à son père, Don Domingo, qu’il trouve lisant son bréviaire ; le père tend à l’enfant sa main à baiser, et lui donne sa bénédiction[2]. La France lui est révélée par sa mère, née Gérard d’Ouville, descendante d’un président à mortier du Parlement de Rouen ; quand il s’agit de parfaire les études de son fils, elle réussit à le faire partir non pour Madrid mais pour son pays à elle. Comment ces deux influences, au lieu de se combattre, s’additionnèrent, et comment l’imagination du poète, dorée par la splendeur de l’île natale, accepta la forte discipline de la raison française, on peut l’apprendre en lisant cette délicieuse biographie romancée, Le Séducteur : c’est l’histoire de Panchito de Montalvo, que son père Don Domingo a confié à Silvina, marquise de Cardenas, veuve à quinze ans. Dans ce livre Mme Gérard d’Ouville nous fait comprendre d’où vient la séduisante beauté de l’art paternel ; comment Les Trophées renouvellent ce miracle du Cid où le génie de la France s’unit au génie de l’Espagne. Quand Panchito et Silvina quittent Santiago de Cuba pour Paris, le vieux chevalier Cristobal, moitié Don Quichotte et moitié duc de Silva, au moment des adieux leur recommande le pûn d’honor : « n’oubliez jamais, ni l’un ni l’autre, que vous n’êtes pas faits pour vous approcher, même par bonté, des choses laides et viles. Qu’ai-je besoin de vous dire cela ? N’êtes-vous pas nés des deux plus fiers sangs du monde ? Mais, quand même, je vous le dirai, pour que ces paroles restent en vous comme un pieux souvenir. N’aimez que la beauté ! Ne servez qu’elle ! Elle vous

  1. André Le Breton, Revue de France, 15 mars 1924, p. 416.
  2. Henri de Régnier, Revue de France, 15 février 1926, p. 808.