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leur enfance ; une Odyssée véritable commence pour eux : ils courent les aventures, affrontent les dangers, subissent les épreuves réservées aux créatures prédestinées ; l’horrible et le grotesque même se mêleront au grandiose. Au fond de ces solitudes inhabitées qu’ils traversent vit un de ces râkchâsas, si communs dans la mythologie hindoue, et dont le Polyphême d’Homère et d’Euripide, les Harpies d’Apollonius de Rhodes et de Virgile, ou les ogres de nos contes et de nos féeries ne sont que de pâles copies. Celui-ci se nomme Hidimba : il est très-vigoureux et très-cruel ; le corps difforme, l’œil fauve, la bouche énorme, les dents aiguës, le visage noir, la barbe et les cheveux rouges, les oreilles en pointe, les hanches pendantes, le ventre lourd, les doigts crochus, il remplit les conditions du genre monstrueux ; tourmenté par une faim perpétuelle, il flaire la chair humaine et ne se repaît que d’os, de cervelles et de sang.

Mais, ainsi que dans un des récits les plus populaires de notre Perrault, pendant qu’il contemple avec convoitise ces corps bien gras et bien tendres qui ne sauraient lui échapper, sa sœur, espèce d’ogresse ou de fée qui porte le même nom que lui, a pitié de ces nobles victimes ou, pour mieux dire, devient éprise de l’une d’elles, le brave et gigantesque Bhîmaséna. L’amour, qui dompte les bêtes féroces, assouplit ce cœur farouche : elle prend la forme de la jeune fille la plus séduisante ; elle cache soigneusement son nom et son naturel ; elle se présente au héros, lui avoue sa passion avec moins de pudeur que de vivacité et lui propose de fuir avec elle. Elle le sauvera des coups du redoutable râkchâsa : elle l’emportera à travers les airs, lui, ses frères et sa mère ; car elle connaît tous les secrets de la magie. Il refuse : il ne veut pas devoir son salut à la faiblesse d’une femme ; il se sent de taille et de force à repousser Hidimba. Celui-ci accourt furieux et lutte corps à corps contre Bhîmaséna ; les autres fils de Pândou dorment si profondément qu’ils n’entendent pas d’abord les arbres se briser, les pierres voler sous le choc