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forêts ; c’est Bhîmaséna, espèce d’Alcide au noble cœur, aussi bon pour les siens qu’il est fort contre ses ennemis, qui veille sur eux tous ; haletant, il renverse les lianes et les arbrisseaux dans sa course.

Avec bien de la peine, à travers les rochers et les précipices, il emporte sur son dos sa glorieuse mère au corps si délicat ; le soir, ils parvinrent à un fourré, où il n’y avait ni eau, ni racines, lieu horrible, rempli de bêtes fauves et d’oiseaux de proie. Le crépuscule y était sombre : les volatiles et les quadrupèdes y faisaient peur : de tous les côtés, l’horizon était obscurci par des vents furieux qui arrachaient les feuilles et les fruits des arbres, arbres nombreux, touffus, serrés, tortueux, recourbés, dont les branches s’agitaient çà et là. Tourmentés par le besoin et la fatigue, ils ne pouvaient s’avancer davantage, car le sommeil les pressait de plus en plus. Ils pénétraient tous ensemble au fond de cette forêt désolée, et Kountî, la mère des cinq Pândavas, faible et épuisée, répéta plusieurs fois à ses enfants qui l’environnaient : « Je suis vaincue par la soif ! »

Alors le vaillant Bhîmaséna dépose sa mère et ses quatre frères à l’ombre d’un immense figuier, suit le vol des grues dont la présence indique le voisinage des étangs et rapporte dans un pan de son écharpe une eau bienfaisante pour ces êtres chéris. Mais il les retrouve à terre, tous endormis par la lassitude, et les plaintes qu’il exale vers le ciel à la vue d’un tel abattement après tant de courage, et d’une telle misère après tant de splendeur, ont quelque chose de touchant dans ce héros terrible, qui n’a qu’à paraître pour effrayer, qu’à frapper pour vaincre. Comme toujours, l’infortune achève et couronne la gloire : maintenant qu’ils sont malheureux et proscrits, tout l’intérêt se porte décidément sur eux. Semblables à Hercule et au Thésée, au Persée et à l’Œdipe de la tradition hellénique, aux chevaliers errants de nos romans de geste, ils vont errer dans l’Inde en la délivrant des monstres qui l’infestent, renouveler les exploits merveilleux de Râma, s’élever presque au-dessus du niveau de l’Humanité. Les voilà revenus aux bois sacrés où avait été cachée