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d’analogies, ce Manou, antique législateur comme Minos, roi patriarcal comme Ménès, type de l’Humanité régénérée, le man germanique, la créature qui doit tout à son intelligence (mânas, menos, mens). Voici ce récit dans sa naïveté primitive :

C’était le matin ; les esclaves de Manou lui apportèrent de l’eau pour se laver les mains. Pendant que Manou se lavait, un poisson, qui était au milieu de l’eau, lui glissa dans la main et lui dit : « Sauve-moi, et je te sauverai. — De quoi ? — D’un déluge qui doit détruire toutes les créatures vivantes. — Et moi, comment te sauverai-je ? » Le poisson répondit : « Tant que nous sommes petits, nous sommes en péril ; car un poisson dévore l’autre. Protége-moi d’abord en me gardant dans un vase ; quand je serai trop grand pour y tenir, creuse-moi un bassin où je resterai ; quand je serai trop gros pour demeurer au fond du bassin, jette-moi dans la mer ; alors j’aurai la force d’échapper à tous les dangers. » En effet, le poisson devient bientôt énorme, tant il croissait rapidement, et il dit à Manou : « Lorsque viendra l’année du déluge, souviens-toi de mes conseils et dispose un navire ; le déluge une fois arrivé, monte sur le navire construit par toi, et je te sauverai. » Manou conserva le poisson, le nourrit, puis le lança dans la mer, et, au moment indiqué par lui, il suivit ses conseils et prépara le navire ; il y monta dès que le déluge eut commencé. Le poisson revint vers lui en nageant, et Manou lui attacha aux ouïes le câble de son navire, afin qu’il le conduisît à la montagne du Nord. « Te voilà sauvé ! s’écria le poisson ; lie maintenant ton navire à un arbre ; car, bien que placé sur une montagne, il pourrait être entraîné par les eaux ; quand elles se retireront, tu en redescendras. » Manou n’en redescendit effectivement que quand les eaux se furent retirées… Le déluge détruisit toutes les créatures vivantes, toutes, excepté Manou ; il passa dès lors sa vie à prier et à jeûner, dans l’espoir d’obtenir des enfants ; il fit des sacrifices, en honorant la mer par de continuelles offrandes de lait, de fromage et de beurre clarifié ; au bout d’un an, il en sortit une femme. Mitra et Yarouna s’approchèrent d’elle et lui dirent : « Qui es-tu ? — La fille de Manou. — Veux-tu nous appartenir ? — Nullement ; je suis à celui qui m’a mise au monde. » Ils eurent beau la presser ; elle résista à leurs poursuites et s’en vint trouver Manou qui lui demanda à son tour : « Qui es-tu ? — Ta fille. — Et comment cela ? — Les offrandes de lait, de fromage et de beurre clarifié que tu faisais à la mer m’ont donné la naissance ; je suis la personnification d’un vœu formé jadis par toi