Page:Soupé - Études sur la littérature sanscrite.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’oiseau de proie : celui-ci réclame impérieusement et inutilement sa victime. Oucinara lui offre à la place un taureau ou un sanglier, une gazelle ou un buffle ; le faucon veut le pigeon, et pas autre chose. Alors le prince, par une charité excessive, qui était de l’essence du brahmanisme et qui s’étendait à toutes les créatures sans exception, lui propose de lui céder en échange une fraction de sa propre chair, qui sera d’un poids égal ; le marché est accepté. Oucinara détache à coups de couteau un morceau de son corps, mais il est trop léger ; il en coupe un autre, c’est trop peu encore : enfin, mutilé et sanglant, il se met tout entier dans la balance. L’épreuve est accomplie ; les deux divinités se révèlent, et Sivi, béni par elles, est assuré de vivre à jamais dans la mémoire des hommes et dans le séjour céleste. Une légende analogue fait partie du Markandêyâ-Pourâna, et celle-ci a été reproduite exactement par la secte des Bouddhistes, au commencement du Dâmamoûkha, recueil perdu, dont on n’a qu’une traduction tibétaine en cinquante et un chapitres sous le titre de Dsang-Loun (le Sage et le Fou). On sait combien cette pitié pour tous les êtres créés, même les plus infimes, était familière aux Indiens : au deuxième livre du Raghou-Vansa de Kâlidâsa, le roi Dilipa s’offre à un lion pour être dévoré à la place de la vache Nandîni ; une légende bouddhique nous montre un jeune prince, nommé Mahâsattva, qui renaîtra plus tard pour être le Bouddha et qui se livre à une tigresse affamée, afin de lui sauver la vie aux dépens de la sienne. Nos sociétés protectrices des animaux atteindront difficilement à un semblable idéal.


VI


À travers ces digressions multipliées, le sujet principal du poëme devient ce qu’il peut : ce tronc robuste et noueux disparaît sous les richesses exubérantes du plus épais feuillage.