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font dans la Bible l’ange et Jacob. Ce duel merveilleux est décrit avec une remarquable énergie. Ardjouna accable Siva de ses flèches ; il le frappe avec l’extrémité de son arc ; il brise son glaive sur les membres de son adversaire, comme sur une muraille d’airain ; il l’attaque à coups de poing ; il l’étreint entre ses bras. Vains efforts ! Sa force et son courage s’épuisent sans résultats, et il chancelle, abattu, sanglant, au désespoir. Une heure entière, il sommeille sur le sol ; mais en se réveillant, il aperçoit son vainqueur, le montagnard, glorieusement transfiguré. Il reconnaît au milieu de son cortège le divin Siva, qui le loue, le caresse et lui fait cadeau de son propre trident ; et bientôt d’autres divinités, Varouna, le dieu des eaux, Couvéra, le dieu des richesses, Yama, le dieu des morts, Indra, le dieu du ciel, lui apparaissent également et lui donnent l’une après l’autre des armes magiques, qui lui assureront la victoire dans la guerre des Pândavas contre les Courâvas. Cette lutte inégale, que couronne une splendide apothéose, n’était-elle pas comme une mystique allégorie, qui représentait la foi ou l’inspiration, longuement exercée par une suite de rudes épreuves et triomphant à force d’ardeur et de constance ?

Un épisode analogue, que l’illustre philologue Bopp a traduit en latin et en allemand, est le voyage du même Ardjouna dans les demeures éthérées : il y a là encore des tableaux dont Homère et Virgile, Stace et Silius Italicus, Dante et Milton, Fénelon et Chateaubriand nous offriraient les équivalents. Il est curieux de retrouver à cette distance des pointures si pures et si élevées du monde surnaturel : il n’y a aucune exagération à affirmer que ni le onzième livre de l’Odyssée, ni le sixième chant de l’Énéide, ni même le dix-neuvième livre de Télémaque n’ont placé plus haut l’idéal poétique et moral. On sait quel rôle jouaient les montagnes dans les religions antiques, un rôle plus important encore que celui des fleuves ; ce que le Liban, l’Horeb, le Nébo furent pour les Hébreux, le Golgotha et le Thabor pour les