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Moi, démon créateur, je pouvais, à mon gré,
Refaire du soleil le disque déchiré,
J’allais savoir comment une terre se fonde,
Et j’avais mes six jours pour réparer le monde.

Fier de l’espoir sauveur que je représentais,
J’avais déjà franchi le pompeux Niphatès,
Et cherché vainement sur la rive déserte
Le sable balayé qui fut Tygranocerte.
Je traverse l’Euphrate, et ne m’arrête pas
Avant d’avoir senti tressaillir sous mes pas
Les rochers qui jadis portaient Sion la sainte :
La toise de la mort en mesurait l’enceinte,
Et l’arbre de la croix sur ce vieux sol planté
L’avait mal défendu de la stérilité.
Là, spectres décharnés, inconsolables ombres,
Emportant dans leurs bras quelques sacrés décombres,
Des hommes, tout en pleurs, chantaient leur chant d’exil.
« — Nous fuyons, nous quittons le Jourdain pour le Nil, »
Me dit en me voyant l’un d’entre eux… « Dur voyage,
« Et des fds de Jacob dernier pèlerinage !
« Le reste des humains habite le Delta
« Que le Nil, dix mille ans, de ses flots humecta :
« Bienfaiteur limoneux dont la fange féconde
« Trompe de quelques grains la famine du monde.
« Venez, le fleuve jaune encor peut vous nourrir,
« Quand le fleuve des jours est si près de tarir !…. »

Durant neuf jours entiers, sous un astre sans flammes,
Voyageurs du désert, ensemble nous marchâmes
Vers le sol tutélaire, allant loin du Jourdain
Chercher les fils d’Adam à leur dernier Éden.