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indignation. Sa seule pensée fut de rendre le mal pour le mal, et de profiter de ce qu’il venait d’apprendre. J’avais sauvé mon père, mais ce fut pour le voir tendre incessamment un piége à mon mari. Il voulait le perdre. Que vous dirai-je ? Le lendemain de cette scène, mon père accueillit Guillaume avec des remerciements pleins de bonhomie sur son inquiétude de la veille. Je fus blâmée de fermer une porte qui devait rester ouverte à un si bon gendre la nuit et le jour. Mais Guillaume devina le piége, ou peut-être n’eut-il pas besoin de cette perspicacité ; peut-être, pendant que je l’accusais, était-il derrière cette porte qui lui était maintenant ouverte, mais qu’il ne voulait pas franchir. Mon père, pour laisser à Guillaume la liberté d’une nouvelle tentative, exigea que je quittasse son appartement. J’obéis. J’étais lasse de tant d’horreurs ; mon cœur et ma tête ne suffisaient plus aux terreurs dont j’étais assiégée. Tous les matins je m’attendais ou à apprendre que mon père était mort, ou à voir notre maison envahie par des magistrats appelés contre mon mari. Rien de cela n’arriva, et, huit jours après, mon père, rassuré sur le compte de Guillaume, me disait que j’étais une folle dont l’imagination avait bâti de lugubres histoires.

« Il semble, Édouard, que mon malheur ne put aller au delà de cette extrémité. Détrompez-vous ! ce mot folle, que mon père m’avait dit en souriant, mon mari me l’appliqua sérieusement. Je fus livrée à des médecins, à qui il osa dire tout ce que j’avais pensé contre lui comme une preuve de cette folie. On plaignit l’infortuné mari d’avoir une pareille femme, et je fus soumise à une surveillance de toutes les heures. Deux mois après, et lorsque la loi qui abolissait l’hérédité de la pairie fut votée, mon père mourut. Guillaume vint me l’annoncer, et, dans mon indignation, je ne pus m’empêcher de m’écrier :

« — C’est trop tard, n’est-ce pas ?

« Le médecin était présent et il dit tout bas :

« — C’est une idée fixe.

« Huit jours après j’étais dans une maison de santé ; c’est celle d’où je vous écris, Édouard, c’est celle que j’habite depuis un an et où je mourrai bientôt, si vous ne parvenez à m’en arracher. »

Le manuscrit était fini, et le Diable était debout devant le baron.

— Où sommes-nous donc ? s’écria Luizzi.

— Dans une maison de fous, reprit le Diable.

— Et cette femme qui dormait ?

— C’est madame de Carin.

— Mais est-elle folle ? reprit Luizzi.

— Demande-le aux médecins.

— Son mari a-t-il tenté tous ces crimes ?