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quand je n’ai vu venir personne, et je dois dire que votre impatience a été bien vive, car je me disposais à me lever pour vous ouvrir cette porte, lorsque vous l’avez enfoncée avec fracas.

— Et que voulez-vous donc, mon père ?

— Tout simplement un peu de tisane ; celle que j’ai trouvée là sur ma table, près de moi, avait une odeur si nauséabonde, que je ne l’ai pas même goûtée.

« Je voulus saisir la tasse. Mon mari s’en empara et jeta le contenu dans les cendres en disant :

« — Voilà le soin que vous avez de votre père ! ce n’est pas la peine de nous fermer sa porte.

« Je le jure encore : le visage bouleversé de mon mari et le soin qu’il prit de faire disparaître cette boisson dont l’odeur avait déplu à mon père, me persuadèrent qu’un crime avait été tenté, et je m’épouvantai du concours de circonstances qui m’en auraient rendue responsable s’il eût réussi. Mon père prit une tasse de tisane qui lui fut présentée par mon mari, tandis que je restais anéantie sous l’idée du danger auquel lui et moi venions d’échapper.

« — Maintenant que l’alerte est finie, dit mon père en souriant, rentrez chez vous, car je me sens en disposition de reposer encore.

« Tout le monde sortit, et je restai seule.

« — Eh bien ! tu ne regagnes pas ton lit ? me dit mon père.

— Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! m’écriai-je en fondant en larmes, protégez-moi !

— Qu’as-tu donc, Louise ? Pourquoi ne réponds-tu pas ? Mais qu’as-tu donc ?

— Oh ! ne me demandez rien, mon père ; mais par grâce, par pitié, ne-mangez rien, ne buvez rien que je ne vous le présente.

— Louise ! Louise ! tu es folle. Songes-tu à la gravité de tes paroles ?

— Écoutez, mon père, écoutez ! Vous souvient-il de cette soirée terrible où Guillaume vous força d’envoyer votre serment ?

— Oui.

— Eh bien ! voilà ce que je lui ai entendu dire, lorsqu’il sortit d’avec vous…

« Je lui répétai les paroles de Guillaume et celles de M. Carin. Je lui expliquai comment j’avais été épouvantée de toutes ces imprudences auxquelles on le poussait. Je lui dis pourquoi je m’étais ainsi placée sans cesse à côté de lui. Je lui dis tout, enfin. L’exaspération de mon père fut au comble. Il ne parlait que de vengeance. Il m’ordonna un silence complet à l’égard de Guillaume.

« — Il ne se tiendra pas pour battu, me dit-il ; il recommencera, et, une fois que j’aurai en main les preuves de son crime, ce sera mon tour de le faire obéir.

« Je me suis servi du mot exaspération pour vous peindre la colère de mon père, parce qu’à vrai dire il n’y eut en lui ni étonnement ni