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douleur de tous les coups sans pouvoir en parer un seul, soutenue cependant par l’espérance qui m’avait fait taire ; car la fin de cette discussion approchait, et, avec elle, la fin du retentissement meurtrier qu’elle avait dans notre maison. La loi avait été apportée à la chambre des pairs ; et, par une précaution dont rien ne pouvait me faire soupçonner le but, Guillaume avait flatté mon père de l’espérance que cette loi serait rejetée par la chambre dont elle abolissait le plus puissant privilége. Sur la foi de cette espérance, j’avais obtenu quelques jours de calme, et la bien légère amélioration qu’ils avaient apporté dans l’état de mon père m’avait fait espérer qu’une vie régulière et exempte de violentes émotions rétablirait aisément sa santé. Guillaume semblait même avoir renoncé à son affreux dessein ; il n’apportait plus les journaux, disant qu’ils étaient insignifiants et que la loi ne serait point discutée de longtemps. Avec ma faiblesse ordinaire, jugeant de la persistance des autres d’après la mienne, je crus que mon mari s’était fatigué de-l’épouvantable rôle qu’il s’était imposé, et je ne gardai d’autre anxiété que de le lui voir reprendre lorsque la discussion de la loi se renouvellerait. Je retrouvais déjà quelque confiance dans l’avenir et j’écartais la prévision de nouveaux dangers, car c’était une charge très-lourde pour moi. Vint un jour qui calma, pour ainsi dire, toutes mes inquiétudes. Durant un long entretien qui avait eu lieu en famille, toute politique avait été oubliée, et nous n’avions parlé que de projets de voyage, d’avenir heureux, du seul soin de jouir d’une fortune à l’abri de toute révolution. Le soir venu, je m’étais retirée la joie dans le cœur, et je m’étais laissé paisiblement gagner par le sommeil que je combattais depuis longtemps. J’étais tranquille d’ailleurs, parce que je fermais exactement la porte de mon père, et que personne ne pouvait entrer chez lui. Tout à coup je fus réveillée par un fracas terrible. Je me lève soudainement, et je vois entrer mon mari avec quelques domestiques qui avaient brisé la porte.

« — Qu’y a-t-il ? m’écriai-je en m’élançant vers mon père.

— Comment ! s’écria mon mari avec violence, voilà une demi-heure que votre père sonne en désespéré, et vous, qui êtes près de lui, vous demandez ce qu’il y a ? et, depuis dix minutes que nous frappons inutilement à cette porte, vous refusez de l’ouvrir ?

— Moi ! m’écriai-je, je dormais.

— Nous vous trouvons levée.

« À ce mot, je crus voir ensemble le crime qui avait été commis et le calcul qui devait m’en faire accuser, et je me retournai vers mon père. Il était assis sur son lit et nous dit en riant :

« — Ah çà ! vous êtes tous fous. J’ai sonné faiblement parce que je ne voulais pas éveiller cette pauvre enfant ; j’ai sonné plus fort