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d’honneur par un dernier acte d’honneur et de fidélité.

— De l’honneur ! s’écria Guillaume furieux ; vous parlez d’honneur, vous qui vous êtes fait un jeu des engagements les plus vulgaires de la probité, vous qui avez spéculé sur votre fille, vous…

— Faites partir votre courrier, Monsieur, repartit mon père ; je préfère la misère, je préfère la prison à l’infamie d’un pareil serment. Oui, reprit-il en s’exaltant, l’honneur de ma fidélité est intact, et je le mets assez au-dessus de tous les autres pour espérer qu’il me fera pardonner d’avoir été pauvre et de n’avoir pu le supporter. Mais aujourd’hui qu’il faut le sacrifier à cette fortune qui m’a toujours échappé, je la repousse. Oui, je resterai misérable, oui, je mourrai en prison. Mais cette pairie, objet de votre ambition, vous échappera ; je rachèterai ainsi le tort que j’ai eu de vouloir vous en faire l’héritier.

— Soit ! s’écria mon mari avec rage.

« Il ouvrit la fenêtre et appela.

« — Monsieur ! m’écriai-je, attendez.

« Il se retourna. Mon père, malade encore et accablé de cette discussion, était tombé dans un fauteuil. Mon mari referma la fenêtre et sembla se calmer soudainement.

« — Un mot encore, dit-il ; cet entretien a pris une tournure telle que je n’ai pu vous faire entendre une parole raisonnable. Calmez-vous et écoutez-moi bien. Ne pensez pas, monsieur de Vaucloix, que, lorsque je vous propose de prêter serment, je vous propose une trahison. Non. Mais ne savez-vous pas comme moi qu’un serment politique est un lien qui n’a jamais engagé personne ?

— Excepté les gens d’honneur.

— Mais il y en a, de ces gens d’honneur qui vont le prêter pour ne pas abandonner tout à fait le champ de bataille. Que va devenir la cause des Bourbons, si tout le monde la déserte ainsi ? Ne vaut-il pas mieux rester en mesure de la défendre pied à pied, et d’ébranler le nouveau pouvoir par une opposition active ?

— L’opposition d’un seul, l’opposition d’un homme qui n’a d’autre recommandation que celle de la fidélité !

— L’opposition d’un homme qui deviendra l’espérance du parti. Écoutez, signez ce serment, et je vous affranchis de toutes dettes, je vous ouvre ma maison, où vous serez le maître ; ce sera le centre de toutes les réunions de vrais royalistes.

— Votre maison où je serais à vos gages, n’est-ce pas, où je serais le valet de votre ambition ?

— Non, dit mon mari ; je vous donnerai une indépendance au-dessus de ce que vous espérez. Vous aimez le luxe, le jeu, la dépense ; j’y fournirai.

— Vous me donnerez dix mille francs par an, comme à un commis.

— Ni dix mille, ni vingt mille : ce sera quarante mille francs par an.

« Mon père secoua la tête.