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« Je n’eus pas le temps de m’étonner de cette condescendance de mon père, car mon mari s’écria :

« — Vraiment ! et si votre démission ne part pas, vous resterez pair de France et libre le temps d’aller à Paris, puis au Havre ? De là, quand vous serez en sûreté sur un vaisseau anglais, vous renverrez cette démission à votre aise ? Non, monsieur de Vaucloix, non. Je ne suis pas si niais.

— Que voulez-vous donc que je fasse ?

— Je veux, reprit mon mari, que d’ici à une heure le courrier qui est en bas parte pour Paris ; je veux, ou qu’il emporte votre démission, et alors vous savez ce qui vous attend, ou qu’il emporte votre serment de fidélité au nouveau gouvernement, et alors…

— C’est une infamie que je ne ferai pas, repartit mon père.

— Tenez, monsieur de Vaucloix, ne donnons pas aux mots plus d’importance qu’ils n’en ont. Figurez-vous qu’un serment au roi est une lettre de change que vous signez. Vous savez mieux que personne comment on ne paye pas à l’échéance.

— Et vous savez aussi bien que moi ce qui arrive à ceux qui ne payent pas.

— On prend des arrangements avec eux quand on a besoin, et c’est ce que je viens vous proposer. Prêtez serment, et je vous obtiens quittance de toutes vos nouvelles dettes.

— Non, repartit mon père, non. Que ma démission parte !

— Vous avez fait attention que c’est votre pension comme pair de France que vous sacrifiez ?

— Oui.

— Vous savez que c’est la seule ressource qui vous reste ?

— Oui.

— Vous n’avez pas oublié que c’est Sainte-Pélagie que vous choisissez ?

— Oui.

— Monsieur, m’écriai-je, vous n’oserez pas !

« Mon mari me lança un regard qui me fit frémir, et mon père reprit :

« — Il l’osera, Louise : tu ne le connais pas encore. Il y a longtemps que je le sais capable de tout.

— Il le savait même avant notre mariage, reprit Guillaume en ricanant, et vous devez le remercier de l’empressement qu’il a mis à le conclure.

« Je courbai la tête pour ne pas voir ces deux hommes, dont l’un était mon père et l’autre mon mari. Cependant je reculai devant le malheur qui menaçait l’un et le crime que méditait l’autre, et j’osai élever encore la voix.

« — Au nom du ciel ! leur dis-je, prenez un jour pour réfléchir tous deux, et alors plus calmes…

— Il faut que cette décision soit prise sur l’heure, repartit Guillaume ; demain il serait trop tard.

— Hé bien ! reprit mon père en se levant, que le courrier parte !

« Mon mari poussa un meuble avec violence sur cette décision, et montra combien peu il s’y attendait.

« — Oui, reprit mon père en qui la colère de Guillaume affermit la résolution, oui, qu’il parte. Je finirai une carrière de fidélité et