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au gouvernement actuel le serment qu’on lui demande comme pair de France, et protester par sa retraite.

— Je vous supplie, me dit Guillaume, de ne pas lui dire un mot de cela.

— Et pourquoi ?

— Ah ! pourquoi ? reprit-il, parce que ce n’est pas pour cela que je vous ai épousée.

— Que voulez-vous dire ?

— Écoutez, Louise ; tâchez de me comprendre une fois en votre vie. Ce n’est pas trop, n’est-ce pas ?

— J’essayerai, Monsieur.

— Oh ! ne prenez pas votre air de victime, je vous en prie ; ce que je vais vous dire est grave. Écoutez-moi bien. La loi qui réglera l’hérédité de la pairie ne sera présentée que dans un an. Ce n’est pas sans raison qu’on a ajourné une pareille mesure ; on a voulu laisser aux esprits le temps de se calmer. D’après mon opinion, il est plus que probable que l’abolition de l’hérédité ne sera pas prononcée. Qu’il en soit ainsi, et mes droits subsistent, si votre père prête serment. Or, vous comprenez que je n’entends pas les sacrifier à un caprice de fidélité surannée : ils m’ont coûté assez cher.

« Je ne pouvais disconvenir que l’observation de Guillaume ne fût raisonnable ; mais il avait un art de jeter de l’odieux sur tout ce qu’il disait. Ce reproche brutal du prix dont il avait acheté ses espérances me révolta, et je lui répondis :

« — Il est des questions d’honneur que chaque homme juge souverainement pour lui-même, et je n’ai pas le droit de donner un pareil conseil à mon père.

— Oh ! oh ! dit mon mari, où avez-vous appris cette belle phrase ? Elle est très-sonore, mais je vous avertis qu’elle est fort déplacée. Je veux, entendez-vous bien ? je veux que vous persuadiez à M. de Vaucloix de prêter serment.

— Je ne puis me charger d’une pareille mission, je ne l’accepte pas.

— Écoutez, me dit Guillaume avec colère, votre père prêtera serment quand je le voudrai et comme je le voudrai ; mais il ne me convient pas de le pousser moi-même à cette détermination. Il faut que ce soit vous qui la lui inspiriez. Je répugne à employer des moyens violents, et votre refus m’y forcerait.

— Des moyens violents vis-à-vis de mon père ! m’écriai-je ; et vous osez m’en menacer !

— Ne faisons pas de tragédie, s’il vous plaît. Voulez-vous, oui ou non, m’épargner le désagrément de faire une scène à votre père ? Allez le trouver ce soir même, je l’ai prévenu que vous vouliez lui parler en secret, il vous attend. Et, puisque vous êtes en train de belles phrases, il en est une que je vous engage à lui dire : c’est que la seule dot qu’il vous ait donnée est l’hérédité de sa pairie, et qu’il est d’un homme d’honneur de me la conserver par tous les moyens qui sont en son pouvoir.

— Par tous, excepté par un parjure.

— Sottise et entêtement ! c’est un peu trop, dit Guillaume furieux. Vous me refusez ? Faites-y attention, je hais les