Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/87

Cette page n’a pas encore été corrigée

colère du fils et des moqueries du père. Je ne vous raconterai pas la scène qui eut lieu à cette occasion ; elle fut suivie d’autres si cruelles, qu’elle n’a plus compté comme une douleur dans mon souvenir. Quelques jours se passèrent encore pendant lesquels mon mari reçut des lettres de mon père, qu’il ne me communiqua pas. M. Carin était allé à Paris et en était revenu. Pendant ce temps, mon père avait quitté les eaux d’Aix et était arrivé dans notre château ; sa douleur était extrême. Chez lui l’opinion politique était une foi, la fidélité aux Bourbons une religion ; et, dès les premiers moments de son arrivée, il nous annonça son intention de les suivre encore une fois dans l’exil.

« — Nous reparlerons de cela demain, dit mon mari d’un ton plus affectueux qu’à son ordinaire ; il faut d’abord vous reposer.

« Le soir venu, et lorsque je fus rentrée chez moi, Guillaume vint dans mon appartement, et, en ayant exactement fermé les portes, il m’annonça son intention d’avoir avec moi un entretien important. Ma surprise fut grande, et mon mari, qui s’en aperçut, crut devoir me rassurer à sa manière sur l’importance de ce qu’il attendait de moi.

« — Ne vous effrayez pas ! me dit-il, il ne s’agit pas d’une mission bien extraordinaire. Je désire seulement que vous vous chargiez de persuader votre père de ne pas quitter la France. Ce départ vous causerait, je le crois du moins, un assez vif chagrin pour que vous trouviez de bonnes raisons qui déterminent M. de Vaucloix à changer d’avis.

— Je ne puis faire valoir que ce chagrin lui-même, et j’espère assez dans la tendresse de mon père pour qu’il m’épargne cette séparation.

— C’est bien dit, repartit mon mari ; persuadez-lui bien que vous en serez au désespoir et moi aussi.

— Je vous remercie de ce sentiment, dis-je à mon mari ; et, puisque vous voulez bien compter sur moi pour cette démarche, je crois qu’il est d’autres raisons que je pourrais invoquer.

— Et quelles sont ces raisons ? me dit Guillaume en s’asseyant devant moi et en m’examinant.

« Vous le dirai-je, Édouard ? j’ai cru entrevoir une espérance de détruire en quelques points l’opinion de Guillaume sur mon compte, et je m’appliquai pour ainsi dire à lui développer ces raisons que je croyais devoir le toucher.

« — Mon père est vieux, lui dis-je, et quitter la France à son âge, ce serait vouloir mourir à l’étranger.

— C’est juste, c’est juste.

— Il n’a pas besoin de donner aux Bourbons cette dernière preuve de dévouement, sa vie répond assez pour lui.

— C’est très-bien, très-bien.

— Il peut d’ailleurs leur montrer sa fidélité par un dernier acte de sa volonté. Il peut, comme quelques autres, refuser