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partie.

— Mais, mon père…

— Laisse-moi donc tranquille ! On mettra encore une fois les Bourbons à la porte, et ils ne l’auront pas volé.

— C’est ce que nous verrons.

— C’est tout vu. Paris sera en insurrection demain.

— Vous vous croyez encore en 93, mon pauvre père.

— Je crois à ce que je sens, vois-tu ! Quand j’ai lu ce Moniteur-là, le cœur m’a gonflé comme si on m’avait donné un soufflet. Je n’ai pas raisonné ce sentiment-là ; j’ai été furieux. Et moi, je suis fait comme tout le monde ; tout le monde est fait comme moi, et tu verras ce qui va arriver.

« La discussion dura longtemps ; et, bien qu’elle n’apportât d’aucun côté des lumières bien grandes sur cette grave question, j’étais, dans mon silence, de l’avis de M. Carin. Je me fiais à cet instinct de colère populaire dont il était saisi, et je jugeais de ce qu’elle pourrait être dans des masses qui n’avaient pas comme lui des raisons de fortune et d’alliance pour résister à leur premier emportement. Comme il arrive toujours aux hommes doués d’une grande infatuation, l’enthousiasme de mon mari devint d’autant plus exagéré qu’il avait trouvé quelque résistance. Il accueillit avec son dédain habituel la nouvelle des premiers mouvements populaires, en s’écriant :

« — Une compagnie de gardes du corps la cravache à la main, et tout sera fini.

« Puis, quand il eut vu qu’il avait suffi de trois jours pour renverser cette royauté de quatorze siècles, il ne démentit pas sa furieuse confiance en lui-même ; et, ne voulant pas convenir qu’une mesure qu’il avait approuvée pût être mauvaise, il se tourna contre ceux qui l’avaient mise à exécution. Il dit que tout avait manqué par leur faute, que quelques régiments de plus dans Paris auraient assuré le succès. Il ne quitta guère ce ton tranchant que lorsque les journaux nous apportèrent la nouvelle de l’élection de Louis-Philippe au trône et celle de l’acceptation de la nouvelle charte.

« C’est ici, Édouard, que commence pour moi une autre série de chagrins que je ne crains pas de confier à votre honneur. Ne vous semble-t-il pas singulier, cependant, que la vie d’une femme ait pu être torturée pour un article de la constitution politique de son pays ? La charte nouvelle, votée par les deux chambres et acceptée par le roi, disait qu’une loi serait présentée dans le délai d’un an pour régler définitivement ce qui concernait l’hérédité de la pairie. La tempête qui s’éleva dans le cœur de Guillaume, à cette nouvelle, fut vraiment folle. Son père se plut à l’irriter, en le raillant sur la perte de ses espérances ; et vous devez comprendre que, dans tout cela, c’était moi qui recevais le contre-coup de la