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mari. Au bout de quelque temps je compris que les parures sans cesse renouvelées qu’il me prodiguait n’étaient pas une attention de sa part, comme je le supposais. C’était un défi jeté au luxe des plus riches, et je crois que, s’il eût pu mettre des robes lamées ou des colliers de prix à son cheval, il m’eût laissée dans un coin.

« Voilà comment j’ai vécu depuis deux ans, arrivée au bout de ce temps à un abandon de moi-même qui justifiait presque tout ce qu’on en supposait, lorsqu’un événement immense en lui-même, puisqu’il fut une révolution pour notre pays, vint changer toute ma vie et amena la catastrophe qui m’a mise en l’état où je suis. Je m’étais mariée au mois de juillet 1828 ; deux ans après éclata la révolution qui exila les Bourbons. Nous étions à la campagne, aux environs de Blois, quand le Moniteur nous apporta les ordonnances. Vous ne pouvez vous figurer la joie folle de mon mari à cette nouvelle.

« — Enfin, s’écriait-il, on va réduire à l’obéissance cette chambre des députés, si insolente et si bavarde ; un ramassis d’avocats et de marchands qui n’ont ni sou ni maille, et qui seront trop heureux de baiser la semelle des bottes du roi quand il osera leur tenir tête ! Il est temps que le maniement des affaires revienne à qui de droit, aux grands noms et aux grandes fortunes. C’est maintenant à la chambre des pairs à prendre la véritable place qui lui convient, la place de la chambre haute. Ah ! si j’en étais en ce moment ; si… À propos, avez-vous reçu des nouvelles de votre père ?…

— Oui, il m’a écrit des Pyrénées ; les eaux d’Aix lui ont fait beaucoup de bien.

« Mon mari laissa percer un mouvement de dépit dont je ne compris pas alors l’affreuse signification.

« — Enfin, reprit-il après un moment de silence, il faudra bien que cela vienne ; et, en attendant, voilà qui ne rend pas la position plus mauvaise. L’aristocratie peut espérer maintenant une solide constitution. Elle marchera à la tête du pays, au lieu d’être remorquée à sa suite comme une vieille machine usée. Une aristocratie jeune, forte, riche, connaissant les besoins nouveaux de l’époque et habile à reconstituer le passé !

« Mon mari se promenait activement en parlant ainsi, lisant et relisant le Moniteur. Puis il s’écriait de temps en temps avec une impatiente colère :

« — Et ne pas être là, maintenant !

— Ne pouvons-nous partir pour Paris ? lui dis-je.

— Est-ce que je parle de cela ? me répondit-il en haussant les épaules et en me regardant avec mépris.

« Vous le voyez ! j’étais bien sotte, je ne comprenais pas que ce