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de fêtes, mais quelque temps après notre mariage nous eûmes une réunion splendide. J’étais allée quelques jours auparavant faire mes visites de noces et porter pour ainsi dire moi-même toutes nos invitations. Si j’avais eu quelque connaissance du monde, ces visites auraient été pour moi un premier enseignement. Nous allâmes indifféremment dans les maisons de haute noblesse où le nom de mon père me forçait à me présenter, et dans les riches maisons de finance qui constituaient les liaisons de mon mari. Dans les premières je reçus personnellement un accueil bienveillant ; dans les secondes toute la bonne grâce fut pour mon mari. J’y fis peu d’attention, et ce ne fut que quinze jours après que j’appris qu’une femme peut obtenir hors de sa maison des égards qu’on lui refuse dans la sienne, parce qu’on les refuse au maître de cette maison. Aussi aucune des personnes du monde auquel j’appartenais ne vint à notre réunion, et nos salons ne furent peuplés que des connaissances personnelles de mon mari. Sa vanité en fut choquée, mais cette vanité ne voulait pas croire qu’une naissance commune et une femme acquise en spéculations mal famées eussent éloigné cette société si orgueilleuse, et ce fut à moi qu’il en attribua l’abandon. Ce fut un jour cruel, je vous le jure, Édouard, que celui où cent lettres arrivées minute à minute vinrent nous apporter les refus mal déguisés de nos conviés. J’aurais voulu les soustraire à mon mari ; mais par une précaution qui, je crois, fut une insulte bien combinée, elles lui furent toutes adressées personnellement. Elles le poursuivirent jusqu’à l’heure de la réunion, et de proche en proche elles amenèrent entre nous une explication assez vive et assez prolongée pour qu’on vînt nous avertir que déjà on arrivait dans nos salons. Nous n’avions songé ni l’un ni l’autre à notre toilette. N’oubliez pas, Édouard, que c’est une femme qui vous écrit ; soyez indulgent pour ce que vous appelez des frivolités et pour ce qui quelquefois a de bien pénibles résultats ; un rien y suffit, une vie mal commencée s’égare loin du bonheur pour la plus légère cause ; c’est comme le trait qui au départ dévie de la ligne droite de l’épaisseur d’un cheveu, et qui à la hauteur du but en est bien loin.

« Après cette insulte, que Guillaume pouvait me reprocher, sinon personnellement, du moins comme faisant partie de cette caste insolente qui le repoussait, vint une de ces misères de la vie qui ne semblent rien, mais qui sont quelquefois beaucoup. J’avais attendu trop tard ; il me manquait un coiffeur ; pour ne pas tarder à paraître dans les salons, je me confiai à une femme de chambre qui ne fut pas assez habile pour me parer des magnifiques diamants que m’avait donnés mon mari. J’oubliai aussi un éventail